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dimanche 26 janvier 2020

En déplacement - Interview de Corinne Welger-Barboza

"Rencontre avec Corinne Welger-Barboza, l’auteure d’une grande saga familiale
Corinne Welger-Barboza, était universitaire, spécialiste de l’histoire de l’art et du patrimoine. Elle vient de publier un livre de recherche sur l’histoire de sa famille. Une famille juive qui, au cours des deux derniers siècles a parcouru l’Europe, depuis la Galicie par Budapest jusqu’en France ou aux Etats-Unis. Une acculturation réussie pour ceux qui ont survécu ou échappé à l’enfer des camps. C’est à la veille du 75ème anniversaire de la libération des camps d’extermination que le livre est paru. Nous revisitons avec l’auteure, parisienne depuis 2 générations, les énigmes de l’identité de sa famille dont toutes les branches sont hongroises. Son regard sur la Hongrie historique et contemporaine est particulièrement riche d’enseignements pour nous. 
JFB : En déplacement – pourquoi as-tu choisi ce titre et qu’est-ce qui t’a ramenée à entreprendre l’écriture de ce livre ?
Corinne Welger Barboza : En déplacement, c’est l’histoire de Juifs qui se pensent enracinés mais qui n’arrêtent pas de migrer, au cours des deux derniers siècles. Hongrois, ils viennent de Galicie ou de Bohème-Moravie, comme la plupart des Juifs hongrois, d’ailleurs. Puis, certains d’entre eux ont fait le choix de la France. D’où un grand nombre est reparti… pour Auschwitz. Le déplacement, c’est également le mien, celui qui m’a animée et m’inspirée, tout au long de l’écriture de ce livre. Dès lors que l’on écrit sur sa famille, l’on doit déverrouiller la place assignée à chacun car cette distribution établie forge notre regard et surtout nos points aveugles. S’agissant des disparus de ma famille, c’était encore plus vrai : il était nécessaire de briser la clôture des maigres récits, se déplacer au-delà de ce qui est tu ou ignoré ou négligé. La présence même des disparus, au sein de la famille, était indexée sur la place plus ou moins centrale, occupée par les vivants.  Je crois que cela vaut pour toutes les familles. La mort de mon père, à l’été 2013, a opéré un déclic pour que le projet du livre se forme ; je l’ai compris après-coup. De plus en plus clairement, au cours de ces quatre années de travail. Ce deuil m’a mise en mouvement, m’a nourrie d’une énergie que je ne pouvais pas soupçonner." La suite sur jfb.hu

dimanche 29 novembre 2009

Gábor Fleck : A propos des Tsiganes Un peu autrement 4/4

Enseignement.

Le niveau d’instruction des Tsiganes en Hongrie est fortement en dessous du niveau général. Près de 85% d’entre eux ont tout au plus 8 ans de scolarité, alors que ce ratio est de 36,5% pour
l'ensemble de la nation, donc la sur-représentation des Tsiganes dans cette catégorie est plus que double. Plus de 20% des habitants ont une qualification d’ouvriers qualifiés, alors que cette
proportion n'est que de 12,4% parmi les Tsiganes. Le plus dramatique est le nombre des bacheliers, face à la proportion de 40% nationale, 3,1% seulement des Tsiganes a une instruction de niveau secondaire (la disproportion dans ce cas atteint plus de dix fois). C’est grâce aux travaux de Pierre Bourdieu que nous savons que le terrain de la reproduction des inégalités sociales est l’école. Les recherches internationales démontrent que le système d’éducation hongrois est le fer de lance de la reproduction de ces situations sociales.

Dés l’arrivée en plus grand nombre des élèves tsiganes dans l’enseignement secondaire, le système d’éducation s’est positionné dans une attitude défensive. (Il est intéressant de noter que les enseignants se trouvaient devant la même problématique que leurs prédécesseurs au milieu et à la fin du XIXe siècle devant assumer l’enseignement des enfants des paysans pauvres que l’on avait forcé à fréquenter les écoles populaires - il les recevaient avec la même réticence. L’intégration de ces enfants s’est accomplie toutefois en l'espace environ d'une génération). Dans les premiers temps suivant la Seconde Guerre mondiale la réponse fut dans l’enseignement séparé, la création des classes et écoles de Tsiganes. Au début des années 80 les intellectuels ont pris unanimement position contre l’enseignement séparé, signifiant également un niveau faible dans la pratique. À ce moment la liquidation des écoles tsiganes a vu se développer l’augmentation du nombre des enfants qualifiés d'handicapés. L’enseignement général avait trouvé un détour en résistant à l’enseignement intégrationniste. La solution a produit des insuffisances graves, incorrigibles à ce jour. Le niveau des écoles de rattrapage est nettement inférieur à celui des enseignements de base généraux, et de là il n' y a pas d’issue. C’est le cul de sac le plus dangereux, d’où il n’y a pas de retour, le retard est irrattrapable. Dans les années qui ont suivi le changement de régime il y a eu quelques expérimentations pour diminuer les inégalités de ce système. Cette première période est à caractériser en tant que «resserrement des rangs des Tsiganes ». La base idéologique de ces actions est de lier les insuffisances à l’ethnie, c’est-à-dire, ce n’est pas aux mauvais élèves qu’il veut faire resserrer les rangs, mais aux enfants tsiganes. De ce fait il reste insensible au cas d’élèves non-tsiganes faibles et aussi aux bons scolaires Tsiganes. Le pire n'était pas dans l’approche mais dans la réalisation. Cela a donné l’occasion qu’au titre de mise à niveau, on a mis les enfants tsiganes de nouveau à l’écart pour leur donner des leçons de rattrapage, pendant que par exemple les enfants non-tsiganes suivaient des leçons de langues de qualité - à la charge des normes de remise à niveau. C’est à cette pratique et cette conception qu'a voulu pallier, durant ces huit dernières années, le programme de la politique d’enseignement des enfants en difficulté. Il a clarifié dans sa conception que les insuffisances scolaires ne sont pas de nature ethnique mais structurelle, ce n'est pas l'appartenance ethnique qui en est cause mais c'est tout d’abord la situation matérielle des parents et leur niveau scolaire qui influencent les résultats des enfants. Au cours de leur réalisation les dispositions liées à cette conception ont rencontré la résistance des écoles, des pédagogues, des pouvoirs locaux et souvent des parents non-Tsiganes jusqu’à nos jours.

Intégration, Intégration, intégration

Si nous considérons les interactions et les liens des problématiques évoquées ci-dessus, il se dessine un cercle vicieux, par lequel la société hongroise précipite une partie d'elle-même facilement définissable sur une base sociale, éducative et territoriale, dans des situations de plus en plus difficiles, et accentuant de plus en plus l’exclusion sur la base de problèmes structurels ethnicisés dans un espace symbolique. Dans cette situation, dans la conscience générale apparaissent des pensées de plus en plus excluantes, exigeant la séparation des Tsiganes autant sur le plan territorial, que scolaire, et ces idées entrent de plus en plus fréquemment dans la pratique concrète, ce qui aggrave la situation. Les mesures prises par les pouvoirs municipaux sont fréquentes dont le but est la mise à l’écart de la population stigmatisée, sans finalité de traiter les questions structurelles et en plaçant par la contrainte cette population dans des situations contraires à ses intérêts et ses intentions. Et de plus en plus fréquemment, apparaissent en politique des pensées et exigences lesquelles criminalisent les problèmes venant des situations sociales et pressent les gouvernants qu’au lieu de dispositions sociales sur certains terrains, ils prennent des mesures punitives. Cela précipite la tsiganité dans une situation d’où il devient impossible de sortir.

Cela forme un double cercle vicieux, lequel ne peut se traiter que par une réflexion comprenant tous les territoires de manière cohérente et en prenant comme but l’intégration en lieu et place de cette pensée sectorisée, avec des programmes déterminés localement d’une manière complexe. Les dispositions de bonnes intentions des décennies passées ont montré comme enseignement leurs glissements. Il est temps de tirer les enseignements des erreurs et sans se déresponsabiliser prendre enfin les problèmes à la racine. Il est clair que sans une intention politique déterminée cela ne fonctionnera pas. Chaque disposition qui va à l’encontre de l’intégration constitue un danger de mort de nos jours. Il n’y a plus de place pour les expériences, il n’y a pas de possibilité pour des faux-pas et l'escamotage invisible des ressources en mettant les échecs sur le dos des assistés.

C’est dans notre intérêt à tous de bâtir une société dans laquelle tout le monde a la même chance autant dans la scolarité que dans le travail, indépendamment du lieu de son habitation, du niveau scolaire de ses parents, et bien entendu de son appartenance ethnique.

Texte de Gábor Fleck traduit par Anna Stein et Jean-Pierre Frommer

Gábor Fleck : A propos des Tsiganes Un peu autrement 3/4

Le monde des Gadzsó- dans un miroir concave

Par la suite je m’apprête à énumérer tous ces problèmes ce qui caractérise la population dite tsigane dans la Hongrie d'aujourd'hui.

La ségrégation territoriale

La politique d’emploi, de territorialité et d’habitation de la période Kádár a aujourd'hui des conséquences très graves quant à la ségrégation territoriale des Tsiganes. Au début de cette époque, les Tsiganes étaient sédentarisés depuis déjà un bon moment. Une masse énorme de main d’oeuvre sans qualification a été absorbée par le volontarisme socialiste d’industrialisation et en même temps des masses importantes étaient attirées dans des grands ensembles créés autour des centres industriels- surtout dans les régions du nord-est du pays. Dans ce temps les habitants Tsiganes et non-Tsiganes occupaient le terrain des villes, d’une manière mixte, sans conflits particuliers. Avec l’effondrement du régime c’est tout d’abord la main d’oeuvre non qualifiée qui est apparue comme excédent inutilisable, ainsi c’est elle qui a perdu son emploi en premier lieu, déjà dans les années précédant le changement de régime. Après le changement, ce processus s’est accéléré, la vie des agglomérations ouvrières a changé d’une manière spectaculaire. Ceux qui ont pu ont déménagé et dans les logements vides des familles de situation de plus en plus désespérée se sont installées.
Puisque les usines lesquelles leur fournissait du travail auparavant ont fait faillite, et à leur place
aucune entreprise viable ne s’installait dans ces régions, la possibilité de retrouver des emplois était pratiquement nulle. Ces campements sont ainsi devenus le réservoir des gens les plus perdus, les plus désespérés, qui avaient de moins en moins de chance de sortir de cette situation. Dans la région du nord de la Hongrie de nos jours, on ne pourrait plus parler de région ségrégée, mais plus de territoire détaché dans lesquels la pauvreté ethnique se présente sous une forme de plus en plus concentrée.

Mais la situation des Tsiganes des villages n’est pas plus favorable. L’effet pervers d’innombrables dispositions a induit que les villages les plus mal situés, de plus petite taille et les plus écartés sont également devenus les lieux d'accueil des gens d’un statut social le plus bas. La politique territoriale des années 80 qui a renoncé au développement des petites agglomérations et a pris comme but de créer des circonscriptions pour centraliser les prestations et des institutions, est une des raisons non négligeables mais pas la seule. L’autre raison est en lien avec l’effondrement de la production industrielle et agricole. À l’instar de celles des entreprises industrielles, s’effondraient les productions agricoles des coopératives. Par ailleurs, à l’époque socialiste, une grande partie des villageois travaillait également dans l’industrie et de son domicile faisait des aller- retours quotidiens, hebdomadaires ou mensuels selon les distances, et a perdu son travail avec l’effondrement des grandes usines socialistes. Le départ des familles les plus aisées pour trouver une situation meilleure dans des villages plus grands ou dans des villes a renforcé la situation absurde des petits villages. De ce fait dans ces petites localités ce sont les familles les plus déchues qui sont restées. La situation s'est aggravée par le processus déjà mentionné que des ouvriers de basse qualification ayant tout perdu ont commencé à s'y réinstaller après le changement. De nos jours, surtout dans la région du sud-ouest du pays se trouvent de nombreux petits villages dans lesquels la population au niveau social et ethnique est homogène, et sans oublier la présence de ces petits villages autour des villes des anciens centres industriels.

Problèmes de logements

On l’a souvent dit et c’est devenu même un lieu commun que les Tsiganes ont reçu d’énormes soutiens déjà à l’époque socialiste, et même de nos jours, ils sont en quelque sorte dans une situation privilégiée du point de vue de la politique des subventions. En réalité cependant, c'est loin d'être exact. Si nous nous souvenons qui étaient les bénéficiaires réels des soutiens en direction de la population tsigane, de suite une autre image se dessine. Dans les années 60, 70 on pensait que la construction des maisons de basse qualité était la solution. On a construit des habitations de petite surface sans aucun confort (chambre-cuisine) lesquelles n’étaient pas adaptées pour accueillir à long terme des familles. Ce sont ces constructions « CS », c’est-à-dire habitations de basse qualité qui composent la majorité des lieux dits quartiers de Tsiganes. La conséquence de la suppression des campements n’était pas autre chose que de pérenniser la forme de vie des quartiers pauvres, c'était cacher les problèmes sous le tapis. Les programmes de soutien d’acquisition de logements des époques 70-80 sont caractéristiques des contradictions de la politique socialiste d'assistance. Les habitants les plus compétents des petits villages commençaient à s’enfuir suite aux dispositions territoriales déjà évoquées. Comme il n y avait pas d’acquéreurs solvables pour leurs maisons, elles sont restées invendues. C’est le programme d’aide à l'acquisition attribué aux Tsiganes qui les a aidé, les familles tsiganes plus aisées ont pu faire le pas et ont pu s’installer dans des maisons plus confortables, et les autres familles au statut social plus élevé qui souhaitaient partir ont pu changer d’habitations sans perte. Ces logements étaient loin de la qualité d’une maison neuve, et le gain en termes d'intégration s'est perdu, puisque les habitants au statut plus élevé l’ont quitté. La politique d'assistance des époques socialistes a produit une aide au changement de population dont les effets négatifs à long terme sont toujours présents. Une foule de problèmes liés aux campements tsiganes, aux villages ségrégés, voire aux régions en déshérence attendent maintenant des solutions.

À plusieurs niveaux, on a tenté déjà avant le changement de régime de supprimer les campements tsiganes, mais aucune des actions n’a donné de résultats. À l’époque socialiste, on arrivait à stabiliser certaines situations, puis à les détériorer. Par endroits on pratiquait de la réhabilitation au lieu de l'éradication, c’est-à-dire des améliorations des habitats, du niveau des prestations, cela a apporté des résultats limités et éphémères. Plus d’une fois, on a concentré les populations considérées comme tsiganes au prétexte de liquider les campements, parallèlement la « détsiganisation » des centres- produisant une ségrégation drastique.

Après le changement du régime, pendant un bon moment, rien ne s’est passé à ce sujet. Puis le gouvernement a décidé de supprimer les campements et de les intégrer à proximité des habitations. Dans la réalité, ça n’a pas donné de résultats spectaculaires. C’est plutôt les entreprises de bâtiments qui en étaient les gagnantes, sinon les représentants des administrations corrompues. On bâtissait des maisons de mauvaise qualité, reproduisant les mêmes implantations ségrégées à l’autre bout de l’agglomération en dilapidant d’immenses ressources pour reproduire les mêmes problèmes, en les différant de dix, quinze ans.

L'emploi

Les problèmes d’habitat évoqués ci-dessus sont intimement liés avec les questions d’emploi et ces liens sont à double direction. D’une part, la concentration de plus en plus dans des espaces
défavorisés de gens n’ayant pas de travail fixe, d’autre part dans ces localités, les opportunités d’emplois sont rares, même le marché des travaux occasionnels est minime, ces habitants sont tenus prisonniers des localités dans l’état de chômage permanent. De nos jours au sein de la population globale le taux d’emploi est de 56,8% (déjà en soi c’est le troisième plus mauvais en
Europe, il est inférieur de 7 points à la moyenne des 27 de l'U.E.), en même temps, parmi les Tsiganes en âge d’être actifs moins de 25% sont présents sur le marché formel du travail. On tient les Tsiganes comme les principaux perdants du changement de régime. Sachons que leur évincement de ce marché a débuté déjà dans les années 80. Parmi les chômeurs actuels plus de 40% avaient perdu leur travail avant 90. Durant les vingt dernières années leur situation d’emploi n’a pratiquement pas évolué. Toute une génération a grandi dont les parents étaient inactifs, et à ce jour il n'a pas été donné à une immense majorité d'entrer dans le monde de l’emploi formel.

Depuis le changement de régime de nombreux programmes ont eu comme but d’aider à améliorer l'emploi des Roms, au début, en partie en ciblant les Roms, plus tard plutôt sur une base des besoins territoriaux ou de l'indigence. Cependant des glissements nombreux se produisaient au cours de la réalisation. De nombreuses causes ont joué (conditions des concours mal comprises, inadéquation aux conditions de concours incompréhensibles ou tout simplement discrimination intentionnelle). L'important, c'est qu'au-delà de quelques opportunités de travail temporaires ces dispositifs n’ont apporté aucune amélioration. La tournure prise par la politique de l'emploi ces derniers temps ne peut pas être considérée non plus comme heureuse de notre point de vue. De plus nous pouvons affirmer, bien que ce ne soit pas son intention, qu'elle institutionnalise la discrimination en instaurant comme conditions d'accès à l'assistance, non pas un système basé sur l'indigence mais un système au mérite difficilement compréhensible, ce qui dans la pratique des municipalités et des institutions locales se transforme en catégorie ethnique et approfondit la césure entre les groupes de Tsiganes et non-Tsiganes dans la société hongroise.
Texte de Gábor Fleck traduit par Anna Stein et Jean-Pierre Frommer

Gábor Fleck : A propos des Tsiganes Un peu autrement 2/4

Comment approcher ce thème ?

Si nous sommes capables d’accepter les thèses ci-dessus, nous arrivons à la conclusion que la tsiganité en tant qu’unité ethnique est le résultat d’une construction sociale, c’est-à-dire qu’en général c’est la valeur objective du concept en soi qui est remise en question. Dans ce sens, l’on ne pourrait parler d’aucun peuple que d’une façon intégrante en considérant les données sociales et économiques. Nous devons analyser les connexions, les relations sociales (inter-ethniques) et comprendre qu’il s’agit de se nommer l’un et l’autre, de se déterminer nous-mêmes et réfléchir à la cohérence de tout ceci. Donc si nous parlons des Tsiganes, en réalité c’est nous-mêmes que nous caractérisons. En réalité c’est nous-mêmes qui sommes déterminés par la manière dont nous nommons un groupe et par qui nous y incluons. Ce que l’environnement nomme en tant que Tsigane varie selon les époques. Pour les institutions sociales, ce sont les groupes déchus socialement repoussés à la périphérie de la société qui sont désignés comme Tsiganes. Les actes criminels caractéristiques des couches inférieures de la société sont nommés comme tels par des pénalistes.
En réalité les problèmes sociaux s'ethnicisent par une catégorisation des comportements de groupes ou d'individus récalcitrants, déviant des comportements dits normaux ou de ceux de la majorité.

C’est cette approche qui détermine fortement autant la pensée scientifique que celle de la vie quotidienne. D’un point de vue scientifique, cette catégorisation scientifique conduit à la tautologie, et avec une apparence scientifique renforce une pensée de stéréotype. En simplifiant : du point de vue de la majorité, les groupes aux comportements déviants et récalcitrants sont désignés comme Tsiganes, en faisant des recherches sur lesdits groupes, on prouve, qu’ils sont récalcitrants et déviants. Par cette approche, pour la science tous ceux qui n’ont pas cette forme de vie deviennent invisibles, quand bien même ils se déclarent Tsiganes, voire beaucoup se retrouvent inclus dans le groupe étudié alors qu'ils ne se considèrent pas Tsiganes, alors que leur environnement les jugent tels en raison de leur mode de vie.

Dans la mesure où nous tenons à avoir une approche de type anthropologie culturelle, nous ne
pouvons qualifier un groupe que de la façon dont lui-même se désigne. Naturellement ce n’est pas indépendant de la vision de l’environnement envers ce groupe, et c’est justement pour cela qu’on ne peut les étudier en dehors du contexte général comme s’ils planaient dans un vide sidéral, chaque groupe social est relié par mille liens aux autres groupes de son espace, à son économie, et bien d’autres processus économiques et sociaux. Nous devons tenir compte de tous ces éléments afin que notre focus se positionne à sa place, pour observer ce que nous souhaitons examiner.

Il est important de noter que ceux que nous nommons Tsiganes, ou bien de la même manière homogénéisante Roms, se nomment eux-mêmes d’une façon très diversifiée. En Hongrie aussi il
existe de nombreux groupes désignés comme populations tsiganes, qui se désignent entre eux par des noms tout différents. Les Beas (parmi eux les mucsáns, ticsáns, et árgyelán), les musiciens, rémouleurs et les forains (les Vend) parmi ceux que l’on nomme les Tsiganes oláh il y a des Lovari, Posot’ari, Kherari, Colari, Cerhari, Bugari, Curari, Drizar, Gurvar etc. On voit que le monde dit Tsigane est bien plus hétérogène que ce qui vit dans le savoir commun.


Il est justifié d’examiner la population dite tsigane, mais cela ne veut pas signifier, d'étudier dans
quelle situation se trouvent des communautés de Tsiganes, mais de quelle manière une société traite ses minorités, et plus concrètement celle qu’elle définit comme tsigane. Il est important que le chercheur sociologue ait un point de vue clair et visible, qu’il n’ethnicise pas les strates sociales, c’est-à-dire des faits sociaux inhérents aux différences de classes.

Par la suite lorsque je vais parler des Tsiganes, je parlerai de ceux qui sont vus comme tels par l'environnement et traités par lui en tant que tels. Donc je n’utilise pas ce terme en tant que catégorie ethnique, mais je veux avoir une approche structurelle de ce thème, je place comme guide de ma pensée : qui l'environnement considère-t-elle comme Tsigane et sur quelle base, et cette minorité défavorisée « créée », construite comment la traite-t-elle .

Texte de Gábor Fleck traduit par Anna Stein et Jean-Pierre Frommer

Gábor Fleck : A propos des Tsiganes Un peu autrement 1/4

Nous terminons ici la publication des contributions écrites à la conférence "Intégration, assimilation et identité en Hongrie aux XIXe et XXe siècles", soirée débat organisée par l'association des Mardis hongrois de Paris à l'Institut hongrois de Paris le 10 novembre 2009.
Intégration, assimilation et identité en Hongrie
aux XIXe et XXe siècles.

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A propos des Tsiganes Un peu autrement
Gábor Fleck
Académie des Sciences de Hongrie- Institut des Recherches de Sociologie



De qui parlons-nous ?

Si nous réfléchissons sur l’histoire des Tsiganes de Hongrie, je tiens à développer certaines idées incontournables pour éviter des malentendus.
L’approche du thème de la science de l’histoire est un problème, ce qui empêcherait plutôt que d’aider la compréhension du présent. On peut arriver à un cul-de-sac en pensant qu’en connaissant le passé, on trouverait d’une manière linéaire la réponse pour le présent. En vérité cela ne signifie pas autre chose que de construire à partir des bribes du présent un passé fictif, ce qui donne une explication tautologique, pour tourner en rond. On construit une histoire nationale sans éléments sérieux, tout en recouvrant, c’est-à-dire occultant ces éléments du passé ceux qui ne pourront pas s’appliquer à une ligne directe vers le présent.
Par exemple, il est illusoire de penser que la tsiganité soit homogène ethniquement, une communauté fermée, et qu’elle aurait été telle durant toute son histoire. Les mélanges ethniques sont bien plus importants dans cette population, comme parmi d’autres peuples, que supposés dans la conscience générale. Dans la délimitation des limites du « nous » et du « eux » il est important de se déterminer clairement des autres, c’est pourquoi même après des cohabitations séculaires ces différenciations nettes sont fréquentes. Ce n’est pas un démenti de l’histoire commune mais cela appartient plutôt au résultat des stratégies de la construction nationale, c’est-à-dire de la politique et non de la science.
Remémorons-nous les désignations par lesquelles les peuples déjà sédentarisés ont nommé les Tsiganes à leur apparition en Europe. Le gypsy anglais, ou le gitanos espagnol se réfère à une origine égyptienne, car c’est cette provenance qui s’est propagée sur les nouveaux immigrés inconnus. Le hongrois cigány, l’allemand Zigeuner ou l’italien zingaro se réfèrent à une tout autre origine. Il existait en Grèce au moyen âge un peuple hérétique, pratiquant la magie et la prophétie, dont les noms sont sauvegardés par ces dénominations. Mais il y a des sources espagnoles aussi, les nommant hungaros, c’est-à-dire hongrois, d’autres les désignent comme bohémiens de Tchéquie.
La linguistique ajoute aussi des siennes à l’histoire des origines. Il est indiscutable que la langue
romani contient un grand nombre de mots de base ressemblant au sanscrit et il est indéniable qu'il en doit son origine. La science de l’histoire cependant applique ce fait pour l’affirmation des
origines d’une manière simpliste, en ignorant les branches connexes de l'histoire. La langue romani contient nombre de mots d'origine perse, grecque, arménienne, puis plus tard des influences des Balkans et des Slaves du sud sont intervenues dans le développement du romani. Les historiens tiennent ces faits comme des traces des étapes, ne tenant pas compte que dans le cas des rencontres des peuples, il n’y a pas que les effets des influences linguistiques et culturelles dont il faut tenir compte, mais inévitablement des mélanges ethniques aussi. En d’autres termes, il y avait des individus d'appartenance tsigane qui se sont intégrés par des unions à ces autres peuples et ils n’étaient plus considérés comme Tsiganes, de la même manière d'autres individus appartenant à d’autres ethnies sont devenus Tsiganes par le mariage. L’illusion du cloisonnement ethnique (ethnique closure), comme nous l'avons déjà évoqué, est maintenue plutôt par la politique de la construction nationale, que par la science.

Texte de Gábor Fleck traduit par Anna Stein et Jean-Pierre Frommer

jeudi 26 novembre 2009

Eletemböl - Comment est né ce livre par Anna Stein 2/2

Voici un phénomène que j’ai découvert après de longues recherches: L'intégration a créé une contradiction au sein des familles juives. Tout d'abord, le changement social et culturel a libéré des énergies considérables, entraînant une forte éclosion de talents, mais, dans les familles, l’ordre interne archaïque restait intact, tout au moins dans la première, seconde génération. Ainsi, la relation envers les femmes et les enfants restait inchangée. Les attentes de succès extrêmement élevées et les relations parentales conservatrices mettaient en danger les structures psychologiques des individus. Cette double conscience ajoutée aux exigences de la société assimilatrice ambiante, ont produit la négation de soi, la schizophrénie et l'autodestruction, entraînant névroses et dépressions. Certains en ont conclu devoir occulter leur origine, protégeant ainsi leurs descendants déjà à la fin du XIXe siècle, alors qu'en fait, il n'y avait pas de raison sérieuse pour cela. Ils ne se doutaient pas que cette décision dépossédait les générations à venir de leur identité et a souvent produit des tragédies, parfois les psychoses.
Mais c’est justement là qu'une question émerge : peut-on changer de culture et de religion, comme on change d’opinion politique, de maison ou de vêtement ? On est arrivé à se demander ce que veut dire d’être juif ? On n’a pas de réponse exhaustive : est-ce une religion ? est-ce une ethnie ? Je dirais que c’est une structure, une culture et une religion.
Cette culture fonctionne à l’orientale, mais les juifs ne savaient plus d’où ils venaient et se croyaient occidentalisés à la différence des peuples parmi lesquels ils vivaient. Car pour eux les commandements et les lois innombrables ont servi de tabou lesquels étaient là pour sauvegarder leurs différences, et cela pendant des millénaires. Il fallait rester un corps étranger, surtout sans aucun mélange. Les mariages endogames créaient des tribus fortement cohérentes, de réseaux et de soutien.
Ces choix s'avérant paradoxaux ont créé des tensions et incitèrent des générations à se révolter et bien qu'issues de la bourgeoise, elles prenaient des positions politiques extrêmes, ce qui avait un effet très négatif vis-à-vis des populations du pays.
J'ai remarqué également que la structure biblique au sein des familles fonctionnait d’une manière contradictoire par rapport à la famille européenne. Le caractère endogame des mariages, les réseaux des relations familiales, d’affaires, survolaient les frontières nationales, ce qui était inconnu dans la manière de vie hongroise. Lorsque les gens ont essayé de changer et ont eu des projets de vie personnelle, cela déclenchait des réactions incroyables au sein de leurs familles. C’est en même temps qu’ils ont été exposés au rejet par la communauté, alors qu’ils n’ont pas encore intégré les codes nouveaux pour eux.
Il faut parler également de la culpabilité profonde que ces changements ont suscitée, consciemment, mais souvent aussi inconsciemment, puisque dans la religion juive rien n’effraie plus que l'exclusion, si on manque aux 367 interdictions, puisque la notion d'enfer n'existe pas. L’enfer est la solitude et l’exclusion.
La littérature d'Europe centrale illustre ce déchirement, pensons à Kafka. Le cas de Frigyes Karinthy est fantastique, il décrit cette dualité déchirante, le sentiment d’exclusion, sans connaître ses origines juives. En fait, cette problématique complexe ne devient vivable que par la création. D’où l’éclosion d’artistes, écrivains, architectes, scientifiques, inventeurs, champions sportifs, qui n’existaient pas auparavant dans cette communauté. C'est le sens également de la naissance de la Psychanalyse dans la Monarchie.
Parlons d’intégration :à ce jour, ce qui s’est passé au XXe siècle n’est pas élucidé. Alors que parmi les nombreuses minorités, toutes ont pu faire partie de la nation hongroise, ce sont les Hongrois juifs qui suscitèrent, d’abord de nouveau le rejet, puis la discrimination et durant la deuxième guerre une destruction effroyable. Il n’y a pas encore de réponse, car sur le plan culturel ils ne différaient pas du reste de la population, leur sentiment national était sans faille.
Quel est le facteur qui a produit ce désastre ? Cette vague meurtrière venait des pays germaniques, dont la culture diffère de celle des Hongrois, laquelle a plutôt tendance à intégrer. Mais des forces destructives jaillissaient du pays même, dont la source pourrait se trouver dans la grande disparité sociale, suite au développement fulgurant de la fin du XIXe siècle de cette société où les villes parvenaient au niveau européen tandis que la situation des campagnes et des banlieues demeurait très en retard. Songeons au livre « Peuple des pusztas » de Gyula Illyés ou aux poèmes d’Attila József. L’ultra-nationalisme, puis le fascisme ont trouvé un terreau dans les tensions sociales, que les gouvernements conservateurs ont voulu ignorer et même utiliser. Moi-même enfant, en allant dans les campagnes, j’étais frappée de voir des enfants pieds nus dans la neige, les maisons de terre battues sans électricité. La perte de la première Guerre, puis la Hongrie amoindrie généraient des amertumes et fermentaient la rancune. L’attraction de l’Allemagne nazie a joué car l’illusion de sa grandeur éblouissait la Hongrie empêtrée dans ses contradictions. Après le 19 mars 1944 c’est avec l’aide de la gendarmerie hongroise que les 450.000 citoyens hongrois juifs ont été arrachés à la nation.
Cela signifie aussi, que le pays s’est auto-mutilé de près de 5% de sa population. Il faut dire que des gens admirables ont risqué leur vie en donnant asile et protection aux persécutés et c’est pourquoi aujourd’hui je puis être parmi vous ici. La réponse à cette question n’est pas exhaustive et des chercheurs ont de quoi travailler pour trouver les raisons de ces pulsions destructives lesquelles s’en prennent aux juifs en Europe, car dans d’autres civilisations ce n’est pas le cas.
L’oeuvre d’Adolf Engel a mis du temps à s’anéantir : après la seconde guerre l’expropriation par le régime communiste a privé la famille de tous ses biens, mais la fabrique de parquet a continué à fonctionner, puis l’incompétence aidant elle a été supprimée. Les domaines ont été transformés en coopérative, et c’est après le changement de régime que les exploitations ont cessé. Dans le château, on accueillait des enfants abandonnés jusqu’à, il y a six ans, puis par des décisions inexplicables le bâtiment a été abandonné. Donc il ne reste plus rien, puisque les mines ont été fermées également. Cependant, à ma grande surprise, mes liens se sont approfondis avec la ville de Pécs et de Komló. Dés 1972, alors que j’avais obtenu la nationalité française, je suis retournée en Hongrie, et mon chemin allait vers ces villes.
Comment l’expliquer ? Mon coeur m’y a conduit. Retrouver mon enfance dans ces paysages, et tout cela avec élan et bonheur. On pouvait y passer des vacances, ainsi mon fils a-t-il aussi connu cette terre. Mon exposition à Pécs s’ouvrait en 1978 au Musée Janus Pannonius de Pécs. Puis peu à peu je me suis rapprochée des responsables des mines et de la Ville de Komló sur les conseils de mon mari, qui m’accompagnait, et c’est ainsi que seule représentante de ma famille, je recueillais toute la sympathie que les habitants de la région ressentaient envers mon ancêtre. J’ai compris que c’est son exemple créatif ce qui reste de lui et que Komló salue tous les ans devant sa statue, laquelle a été sauvegardée par les mineurs pendant les époques de destruction. C’est ainsi que j’ai rencontré Rózsa Jakab et Gábor Szirtes qui ont eu l’idée de ce livre, et je leur dis merci pour Adolf, pour ma mère et pour ma famille.

Eletemböl - Comment est né ce livre par Anna Stein 1/2


Nous poursuivons ici la publication des contributions à la conférence "Intégration, assimilation et identité en Hongrie aux XIXe et XXe siècles", soirée débat organisée par l'association des Mardis hongrois de Paris à l'Institut hongrois de Paris le 10 novembre 2009.
Intégration, assimilation et identité en Hongrie
aux XIXe et XXe siècles

Soirée débat organisée par l'association des Mardis hongrois de Paris à l'Institut hongrois de
Paris le 10 novembre 2009


Comment est né ce livre ?
Intervention d'Anna Stein

Comment est né ce livre ? J’ai trouvé le manuscrit original de langue allemande en 2000 dans la succession de ma mère, Rose Engel de Janosi avec de nombreux documents et photos de la famille. Dans sa correspondance, j'ai appris que le texte a été trouvé par quelqu’un de ses relations à Pécs, qui l’avait envoyé à elle à New York où elle vivait. J’ai remis ces documents à la directrice du musée de Komló qui a eu l’idée de faire une exposition en mémoire d’Adolf Engel et la famille. Pour mon bonheur Rózsa Jakab a fait traduire en hongrois le texte original écrit en allemand, que j’avais lu avec difficulté, ainsi il est devenu plus facile à comprendre pour moi aussi. C’est ainsi que l’éditeur de Pécs, Gábor Szirtes a décidé l’édition de cet ouvrage.
Après tant d’années et malgré les changements politiques successifs intervenus, la personne d’Adolf Engel est perçue comme « Père de la Ville de Komló », il continue à vivre dans leur esprit. Il me vint la question, par quel mystère? Dans les environs, il y avait de grandes familles ayant d’immenses domaines (les Batthyányi, le prince Montenuovo), malgré cela c’est la statue d'Adolf Engel de Jánosi qui se dresse sur la place principale. Quelle en est la raison ? Dans la description de sa vie, j'ai appris que durant une bonne partie de son existence, il était dans la pauvreté, et a vécu modestement, il a lutté et grâce à son travail acharné c’est très lentement qu’il arriva à un haut degré de la richesse. Il a toujours apprécié la valeur des relations humaines, ne se précipita pas sur des biens.
Sa carrière a coïncidé avec les périodes historiques les plus importantes du pays. Il était l'homme de l’époque des réformes, caractérisé par des principes et par des actes. Széchenyi, Eötvös étaient ses modèles. Il a pris part également à la Révolution de 1848. C’est l’époque de la réconciliation avec l’Autriche en 1867, l’éclosion de l'évolution bourgeoise qui a vu s'accomplir ses performances les plus importantes et ses entreprises.
À son époque, la Hongrie était l’espace le plus ouvert à l'intégration des ethnies diverses. Hongrois, Allemands, Slovaques, Roumains, Croates d'origine sont devenus des Hongrois enthousiastes, tout comme les juifs, les orthodoxes et gréco- catholiques. Dans son écrit, on voit que le racisme a bien existé, mais la civilisation a commencé à ouvrir la voie à une société de la réalisation pour tous. En réalité une société double s’est créée jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale en Europe centrale : d'une part, il y avait le système féodal, où la naissance détermine tout, et où le travail était méprisé, d’autre part il y avait déjà une classe bourgeoise émergente. La nouvelle devise de la bourgeoisie "Assíduo Labore» (constamment travailler) figure sur son blason de noblesse. On peut supposer que dans la vie d'Adolf ces nouvelles valeurs furent intégrées sous l'influence de sa mère, qui était originaire de Francfort (nous ignorons comment elle est arrivée à Bonyhád, puis à Pécs). Dans sa description nous pouvons suivre le lent processus pour sortir de la misère profonde. En créant ses entreprises, de longues relations de travail s’établissent, au cours des décennies entre lui et ses employés.
Le phénomène était totalement inconnu qu’un bourgeois, un industriel ou un propriétaire terrien converse avec un travailleur ou un ouvrier agricole, pour s’enquérir de son destin personnel. Ces impressions durables, lesquelles étaient tout à fait inhabituelles à cette époque s’inscrivaient dans la mémoire populaire. Ainsi, malgré les persécutions religieuses et sociales, la mémoire d'Adolf Engel devenait intouchable. De même, l'appréciation et le respect mutuels dans le domaine de la religion étaient inconnus, car les communautés vivaient complètement séparées. Lui a financé les études du curé de Jánosi. À cette époque, de grandes controverses secouaient la communauté juive (des litiges entre orthodoxes et néologues provoquaient des affrontements). Adolf a opté pour les seconds et c’est dans cet esprit, qu’il a pris part à la fondation de la Synagogue de Pécs. À l'entrée de celle-ci des inscriptions sur le marbre en témoignent. Les changements intervenus dans les communautés juives dans l'exercice de la religion ont permis de sortir de l’exclusion, et ont ouvert la voie à l'intégration dans la société hongroise, ce processus a eu lieu en Allemagne un demi-siècle plus tôt. József Eötvös a combattu pour l'émancipation des juifs, leur exclusion sociale disparut dans le pays.
Il est intéressant d'observer qu'au cours de sa vie, Adolf s’incorpore instinctivement dans la société hongroise, comme patriote enthousiaste, et comment il se sent responsable de cette ville, où, il y a encore quelques décennies, il était à peine toléré. Il était fier d’être parmi les contribuables les plus importants de Pécs. Sa capacité d'intégration sociale incroyable m’a toujours étonnée. Sa vie a commencé dans la misère, l’a conduit à la prospérité, et il est devenu grand propriétaire sans développer les mauvaises caractéristiques des nouveaux riches. Il s'insérait naturellement dans la société et faisait partie des cercles sociaux les plus élevés.
Il a eu huit enfants. Il leur donna la meilleure éducation. Toutefois, il était un homme de son époque, ce qui signifiait être un pater familias strict, à l’instar de l’Empereur. Ceux avec qui il pouvait travailler de concert avaient de la chance, ceux qui recherchaient des voies individuelles, ont dû ou bien renoncer, ou bien…
Cela a déterminé pour les générations suivantes la structure familiale.
Autant il était à l’avant-garde en tant que patron, et entrepreneur, autant dans son rôle de chef de famille, il restait le patriarche antique. J’ai découvert dans ses écrits toutes les interdictions que mes grands-parents et mes parents ont perpétuées. Ma relation avec mon aïeul était une lutte, à travers mes parents, ces recommandations archaïques sont devenues des lois. Ce n’est qu’après de longues années d’analyse que je me suis réapproprié mon histoire et ressuscité mon ancêtre. En même temps il fut un repère pour moi dans la vie de lutte. Comment me considère-t-il ? Celle qui a désobéi en devenant artiste ? Peut- être serait-il tout de même fier de moi ?

dimanche 22 novembre 2009

Rózsa Jakab : Vie nationale et ethnique à Komló (4/4)

Les minorités aujourd'hui à Komló

Il n’y a pas de recensement réel des juifs de Komló. On se souvient de Kàroly Grünhut, l’épicier, comme un juif au bon coeur. « Vous me le rendrez quand vous pourrez » disait-il pour encourager ses clients, dont plus d’un n'acquitta pas son dû. Non loin de son magasin de la Grande rue il y avait l’échoppe de Sándor Rosenberg avec sa famille nombreuse. Il était aussi grossiste en vin. Que leur humanité ne tînt pas à leur appartenance nationale, la preuve en est donnée par les pleurs des voisins du quartier Imre, lorsque, impuissants, ils les voyaient être déportés vers le ghetto de Mohács.

Dans les années 1939-40 au-delà du renforcement des antagonismes hungaro-allemands, un
clivage apparut au sein même de la germanité dans le village. Leur majorité s’est orientée vers le fascisme en devenant membre du Volksbund. Ceux-ci, à l'automne 1944, se sont enfuis de la région (45 familles, env. 106 personnes). Cependant il ne faut pas oublier, que parmi les Allemands, 10 ont pris part à la Guerre de Libération de 1848, 12 parmi les 25 morts héroïques de la Première Guerre mondiale, et 32 des 58 victimes de la Seconde Guerre mondiale portent un nom à consonance germanique. Au moment des expulsions des Allemands de 1948 on envisage leur exemption, car ils l'avaient mérité par leur comportement. Ils sont considérés comme travailleurs et compétents. Malgré cela le 2 juin, 23 cultivateurs transportent les 143 expulsés allemands des villages vers Magyarszék. Leur départ est vu avec des sentiments mitigés par les habitants de Komló lassés. Leur destination était la RDA. À leur place, on a introduit des arrivants de Csallóköz, des Csángó et des Sicules de Transylvanie. Cette migration forcée des époques modernes; caractéristique d'une Europe en proie aux bouleversements était d'autant plus significative à Komló qu'elle donnait la mesure de l'« époque héroïque » des grandes « migrations » intérieures. À l’appel des mines, arrivaient indifféremment des travailleurs bons et mauvais, honnêtes et malhonnêtes, travailleurs et chômeurs invétérés. Il a fallu près de deux décennies pour que tout ce monde venant de partout se constitue en communauté où, malgré son extrême hétérogénéité chacun puisse se sentir l'un des 1951 habitants responsables de la ville, et contribuer à son embellissement. Dans la deuxième partie des années 1980 on y comptait 32.629 habitants.

Le grand traumatisme de la fin du siècle fut la fermeture des mines, ce qui malgré le changement de régime a bloqué l’évolution de la ville, juste à un moment où ont été prises des dispositions positives concernant les minorités, pour les écoles maternelles, en introduisant l’apprentissage de la langue allemande dans les écoles.

Komló est resté la ville des problèmes à résoudre, et des contradictions. Le recensement de
2001 a comptabilisé 28017 habitants.

----------Bulgare Tsigane Grec Croate Allemand Slovène-Ukrainien

Se considère
appartenir à --0----419-----5-----29------289-------5--------6
S’attache à des
traditions
culturelles ----1----406 ----12----35------356------- 3--------7
Utilise sa langue
maternelle----1----319------4----19------187--------3--------7
Utilise sa langue
dans sa famille,
cercle d’amis--0----279------1----18------134--------4--------5

En 2007 la composition de la ville et de ses 26 463 habitants s’est divisée parmi les minorités suivantes :
Hongrois 93,4 %
Tsiganes 2 %
Croates 0,2 %
Allemands 1,9 %
Roumains 0,1 %
Inconnu 6,2 %
Est-ce réellement la composition de la population ? Comment les ont orienté les évènements politiques et les nombreuses contraintes ? Les ont-ils laissés sans réaction ? Ces minorités se seraient-elles tant assimilées ? Ces questions sont de l'ordre de la poésie. C’est l’avenir qui donnera la réponse.
De fait en 2009, 25.881 personnes vivent à Komló.
La loi des minorités de 1995 assure la Représentation Autogérée des Tsiganes, Grecs, Croates, Allemands, Ukrainiens.

C'est la vie communautaire des Allemands qui est la plus performante et la plus riche d’actions. Leur club fonctionne depuis 1984 et avec 70-80 participants. C’est le jumelage le plus ancien avec Nerckartenzlinggel. Les villes de Gebarzhofen, Leutkirch ont également accueilli de nombreux scolaires, contribuant à l’apprentissage et à l’usage de la langue. Ils ont construit des relations de travail vivantes et durables avec la ville et avec ses associations.

Les Tsiganes vivent depuis des siècles dans notre pays. Leur mode de vie particulier est le produit de leur organisation selon un droit coutumier. Ils ont souvent dû s’adapter, exploiter des opportunités, et de nos jours, ils en sont toujours capables. La plupart d’entre eux sont arrivés dans les années 50-60 dans l'espoir de trouver un emploi. Jusqu'à la première moitié du siècle passé tous les villageois connaissaient le nom des Tsiganes du lieu (le couple Tera et Béla était légendaire), on savait à qui on pouvait confier tels ou tels travaux (la coupe du bois, petits travaux ménagers, etc.) ensuite des Tsiganes considérés comme étrangers ont afflué en grand nombre dans la ville. Il y avait 7 campements de Tsiganes dans la proximité immédiate de la ville, et même dans l’un d'eux, une l’école primaire et une école maternelle. Les hommes travaillaient à la mine, sur les chantiers de constructions et le nettoyage urbain. La dislocation des communautés s’est accentuée avec la suppression des campements, en les installant dans la ville. Leur attachement à leur mode de vie ancestral a provoqué du ressentiment et de l’intolérance autour d'eux. Ceux qui ont fait des études secondaires (leur nombre s'est accru) s’attachent autant à leur identité de Tsiganes. Les programmes organisés par la fondation « Feu Intérieur » sont riches et remarquables. Leur organisation de Minorité Autogérée leur assure dans leur maison communautaire un service de clientèle, d'assistance juridique, d'assistance scolaire, de recherche d’emploi. En raison de leur faible niveau d'instruction et de compétence utilisable sur le marché du travail, le chômage est de 70% dans cette communauté.

Il existe peu de données concernant les autres minorités.

Les ancêtres des Croates se sont réfugiés chez nous fuyant les Turcs. Au siècle dernier c’était le travail des mines qui les attirait, et dans les années 90 c’est la fuite face à la guerre des Slaves du sud qui les a fait venir. Avec le soutien du Consulat général croate de Pécs, ils ont établi un jumelage avec Valpavö.

La plupart des Grecs sont arrivés en Hongrie en tant que réfugiés politiques en 1947-48. Leurs enfants se sont installés à Komló au début des années 80. C’est par leurs noms que l’on les identifie.

Les Ukrainiens se sont installés par mariages ou par rattachement familial dans les années
60. À la suite de la fermeture des mines, ils sont repartis dans leur pays.

Les Slovènes s’occupant principalement d’agriculture et des exploitations forestières dans les années 60 avaient 40 familles, à ce jour on en compte seulement 14. La situation des Slaves
du sud s’améliorant, ils sont rentrés en Slovénie, ou se sont installés dans les régions frontalières.
Les Bulgares sont les moins nombreux, c’est entre eux-mêmes qu’ils cultivent leurs traditions.

Toutes ces communautés cultivent leurs langues maternelles, leurs coutumes et traditions. Elles ne subissent pas d'entrave à cela. Nous leur sommes redevables de la sauvegarde de la multiplicité de leurs activités colorées.

Moi-même j’ai passé une grande partie de ma vie adulte dans cette ville, à ce jour j’y travaille. Je n’affirme pas que toujours, tout le monde a aimé et respecté « l’autre ». Mais je n’ai jamais constaté d’atrocités violentes envers des minorités. Mon expérience, c'est qu'en acceptant l'altérité, l'homme au quotidien n'a jamais eu et n'a pas de problème, tant qu'il rencontre l'autre en tant qu'être humain, le jugeant sur l'échelle de valeur des compétences, en tant que semblable responsable, indépendamment de qui appartient à quelle nation. Le véritable « crochet à venin » du développement du sentiment hostile à l'égard des minorités nationales est l'intérêt, le goût du pouvoir, une politique politicienne égoïste, inconsidérée et irréfléchie. Seuls les peuples disposant d'une connaissance de soi nationale sont capables de résister aux idées excitant la haine et en gardant leur identité nationale soit s'intégrer ou s'assimiler aux nations qui leur offre une patrie, comme Adolf Jánosi Engel l'a fait aussi et comme notre roi Étienne le souhaitait. Le commandement « aimez-vous les uns les autres » doit primer tout, et l'excessive estime de soi nationale, et la fierté aussi, car après tout ce sont les mains réunies qui maintiennent, et peuvent maintenir un monde solidaire», particulièrement le monde du XXIe siècle qui danse sur le fil du rasoir.

Texte de Rozsa Jakab traduit par Anna Stein et Jean-Pierre Frommer

Rózsa Jakab : Vie nationale et ethnique à Komló (3/4)

Adolf Engel de Jánosi : un destin exemplaire

Adolf Engel était conscient de ses devoirs. Toute sa vie et son activité en sont témoins. En sauvegardant son identité juive, il a énormément fait pour sa patrie de près et de loin, pour sa famille, pour ses employés et des personnes autour de lui.

Sa statue que sa famille a fait ériger après sa mort, oeuvre de Sàndor Abt, le sculpteur de l’entreprise Zsolnay, se trouve dans le jardin du musée de Komló. Elle a été démontée suite aux bouleversements successifs, après la Première Guerre mondiale, puis remise dans les années 20, ensuite en 1944 de nouveau enlevée et placée dans le garage des machines-outils de la mine, après 1945 on l’a redéposée à son emplacement originel, dans le jardin de l’école de la ville minière. En 1950 le directeur du cabinet du gouvernement ordonne sa démolition, et même sa refonte. Le fait que les mineurs de la mine de Kossuth aient caché la statue en hommage des dires de leurs pères et grand- pères concernant la personnalité d’Adolf Engel, malgré les incitations à la haine et les convulsions de l’histoire, en prenant de gros risques, démontre l’attachement à sa personne. La sculpture était restée emmurée jusqu’en 1954, jusqu'à la fondation du musée local, d’où en 1991 elle vint prendre sa place actuelle. Jozsef Kutnyánszky, le notaire du village écrit en 1957 avec angoisse : "Ni la sculpture, ni le personnage ne sont inconnus des anciens de Komló. Parmi nos lecteurs nombre sont ceux qui bravant l’interdit de l'instituteur avaient tiré la moustache de la statue avec leurs doigts frêles. L’époque des farces d’enfant est passée, le nom de la rue de jadis Adolf Engel de Jànosi est maintenant la rue Attila József. La magie du nom Engel se ternit, nous sommes de moins en moins nombreux à nous souvenir de lui, et nous sommes en bonne voie pour qu'il soit oublié dans tout Komló. Pourtant une génération avant le nom Engel et Komló étaient comme la prune et son noyau" (Calendrier de Komló,1957).

Cette crainte n’était pas sans fondement. Je tiens comme une bénédiction du sort d’avoir été mise en contact personnel en 2007 avec Anna Stein, l’arrière-arrière petite fille d’Adolf Engel de Jànosi puis avec son arrière petit-fils Péter Engel de Jánosi. C’est grâce à leur contribution que nous avons pu réunir les sources et les matériaux pour la publication de l’ouvrage « De Ma Vie » publié par les soins de l’édition Pro-Pannonia et que nous avons pu mettre en place l’exposition permanente « l’espace de souvenance Engel de Jánosi ». « La prune et son noyau » sont de nouveau réunis. Le nom d’Adolf Engel de Jánosi ne peut être oublié de nos jours non seulement par les habitants hongrois, allemands, mais aussi par une population devenue depuis encore plus colorée de Bulgares, Tsiganes, Grecs, Croates, Slovènes, Ukrainiens.

Depuis toujours j’aurais voulu en savoir plus sur cet homme, que la sculpture représentait, à qui Komló doit la création de l’exploitation industrielle des mines de charbon, qui fait partie de l’histoire de cette ville avec sa vie exemplaire. Son sens exceptionnel de l'économie et des affaires, ses connaissances l’ont formaté pour être un homme d'action et de décisions rapides. Il devint quelqu’un acceptant des sacrifices au service de l'intérêt commun, il devint l’homme d’affaire audacieux. Ce qu’il a réalisé dans la région de Komló n’est pas rien. Ferme modèle au hameau de Jánosi. Exploitation capitaliste des forêts. Ses hypothèses concernant l’existence d'un « trésor » dans la profondeur du sol, celui du charbon, suppositions confirmées par des recherches minières. Ouverture de puits (Adolf, La Chance, puits Glanzer). À partir de 1895 les forages de puits verticaux de 80m. Un an auparavant la connexion avec le « monde extérieur » par la mise en marche du chemin de fer. Il bâtit des logements pour les ouvriers, des routes, il fonde des écoles, et soutient leur fonctionnement, de même que celui de la paroisse de l’église catholique romaine. Il bâtit un château en 1900, pour ne mentionner que ses réalisations les plus importantes. Bien entendu avec la collaboration de ses fils Joseph et Gyula en prenant de l’âge.

La preuve de sa circonspection est qu'il fait appel à des spécialistes miniers allemands. Les premiers mineurs portent des noms allemands. Le travail minier crée un petit clivage parmi les habitants du village, puisque des logements se construisent près du puits Anna pour ceux qui travaillent à la mine. D'un côté les gens du village, de l'autre les gens de la mine. Les faiblesses humaines, les jalousies, les rancunes sont surmontées car pour les exploitants agricoles et les éleveurs des origines, ces travailleurs des mines de plus en plus nombreux représentent un marché intéressant. Jusqu’à 1907 les mines sont la propriété des Engel. C’est grâce à leur présence et à leurs entreprises qu’en 1910 le nombre des maisons s'élève à 199 et celui des habitants à 1513. Avec ceux qui viennent des alentours 1400 travailleurs vont dans les mines. Le nombre des habitants a triplé en trois décennies. Komló est devenu une agglomération de paysans et de mineurs en voie de capitalisation. L’activité d’Adolf Engel, de Jánosi a posé les fondements du développement futur de la première moitié du XXe siècle. Dans la sociographie de Komló de György Moldova , nous lisons : « Adolf Engel a laissé un bon souvenir parmi les mineurs. Certains prétendent qu’à son grand âge, il voulait donner tous ses biens à ses ouvriers». Ses connaissances, la nouvelle mentalité, l’ordre des valeurs, la réflexion, tels qu'ils apparaissent dans son autobiographie, ont apporté leurs résultats, entrainant la reconnaissance pour lui et pour sa famille, et pour son pays choisi, reçu par lui, et accepté dans la Monarchie-la Hongrie.

Cette patrie au cours du XIXe et XXe siècle a par moments reconnu (1867, 1928) et tantôt aboli l’égalité de droits des juifs. Le développement économique nécessitait du capital, de ce besoin résultaient des échanges momentanés, y compris des mariages mixtes. La partie déclassée, exclue du pouvoir politique et économique de la noblesse hongroise, la bourgeoisie allemande des villes voyaient dans les juifs la cause de leur situation désespérée. Cette aversion était facile à exploiter, et de cela a résulté la tragédie honteuse du XXe siècle, que très peu ont pu survivre. Tels les Allemands installés en Hongrie, les juifs aussi ont pu rechercher une issue dans leur religion. Dans cette religion « selon laquelle l’homme est le summum de la création, qui a le choix entre le bien et le mal. Ceux qui pratiquent s’efforcent de respecter les lois, des coutumes, et d’atteindre la perfection morale. Cette religion contient le respect de la vie de famille, des pères, des traditions, la fidélité, la franchise, la confiance dans le progrès, les efforts pour l’atteindre la loyauté envers le pays, la vocation, elle tient comme remarquable de ne pas juger la personne sur les signes extérieurs, mais sur ses actes. Adolf Engel de Jánosi a accompli les exigences de sa religion en tant que Hongrois juif citoyen, comme père, commerçant, industriel, entrepreneur, économiste, propriétaire terrien, accomplissant des actions sans contrepartie pour le bien commun, et surtout en tant qu’homme » (Zsuzsa Egri-Lechner).

Texte de Rózsa Jakab traduit par Anna Stein et Jean-Pierre Frommer

Rózsa Jakab : Vie nationale et ethnique à Komló (2/4)

La formation du concept de nation hongroise - l'exemple de Komló

La nation culturelle, l’Etat-nation, ont apporté des doutes politiques, ont fait surgir une multitude de complications, car durant des décennies l'ensemble des populations de nationalité autre que les Hongrois ont dépassé ceux-ci en nombre. Nous avons bien une communauté disposant de la langue hongroise, cependant – à mon avis - à ce jour il manque encore la cohésion dans le sens de la conscience nationale, ce qui implique et exige la connaissance historique du passé et du présent de la nation, des opinions, des idées, des sentiments et une vision globale claire et des orientations partagées.

Le XIXe siècle est, en Hongrie, également celui de la difficile création de l’Etat-nation "moderne" au sein de l’empire multi-ethnique face à l'oppression des Habsbourg. Le slogan de Kölcsey : «Patrie et progrès» devient par conséquent l'idée phare de l’époque des réformes, de celle de la révolution de libération, et même de l’époque du dualisme. Mais malheureusement seules les personnes les plus éclairées pouvaient reconnaître les défaillances et les erreurs de la conscience nationale, dont ils ont réussi à surmonter l'orgueil excessif. Et combien peu ils étaient! Pourtant, combien de personnes originaires d'autres nations ont donné leur vie pour la liberté hongroise! Étaient-ils membres de notre nation ? S'ils ne l'étaient pas par la langue, ils l'étaient par les actes, les sentiments et par leurs sacrifices. Les avons-nous remerciés, appréciés? Tantôt oui, tantôt non. Cependant c'étaient des patriotes, comme les patriotes hongrois contemporains.

Le patriotisme de notre concept national et de notre conscience nationale n'a de valeur, que tant qu'il défend le droit. Le nationalisme qui en découle en revanche nie le droit, et devient de l’intolérance, du mépris et de l'outrage contre ses propres minorités nationales. L’hostilité, les affrontements des uns avec les autres en est la conséquence, que les grandes puissances de toujours ont utilisé pour leurs intérêts.

Est ce que les événements nationaux et les idées évoquées ci-dessus ont touché la
municipalité la plus bariolée du comté de Baranya cette agglomération appelée Komló?

La réponse est oui. Le petit village, à peine survivant à l’époque des Turcs, doit son existence au dix-huitième siècle, sur l'initiative et l’orientation de Charles III, Marie-Thérèse et Joseph II à l'installation d'une population de colons allemands, à la recherche de ressources pour survivre, gens de métiers, d'une grande discipline de travail, ayant des habitudes très économes, venant de Rhénanie, Baden, Wurtemberg, de la région de la source du Danube, de la Souabe. Leur arrivée augmenta le nombre des habitants. Les souvenirs amers de leurs efforts, la lutte pour leur installation, l’expérience de leur intégration, ils les ont exprimés de la sorte:
« Erste war da nur Tod
Dann ist kommen Not,
Und nur das drittenmal Flott. »
Le sort de la première génération était la mort, celui de la deuxième la misère, et seule la troisième connut le bien-être.

Nous n’avons pas de réelles données dans les archives du recensement ordonné par Joseph II en 1784. Les villages environnants sont mentionnés ensemble. Cependant on voit que le nombre des propriétés possédées par les Allemands est inférieur à celui des habitants de souche. Nous rencontrons en 1793 les premières traces écrites de la présence des « svàb ».
Leurs descendants sont toujours présents à Komló, toujours portant les noms de leurs
ancêtres, exploitants des forêts, asséchant les eaux stagnantes. Ils produisaient du seigle, du tabac, des haricots, des pommes de terre, des choux, du raisin, des fruits. Ils élevaient des bovins pour la production du lait et des laitages. Ils étaient des artisans : vitriers, charpentiers, maçons, tonneliers, charrons, cordonniers. Nombre d’entre eux fut apiculteur. Leur apparition assurait la diversité des nourritures et des exploitations. Ils s’activaient dans des productions monnayables. Malgré leurs origines hétérogènes, ils tenaient à garder leur langue, leurs coutumes, leurs habits (portant des couleurs blanches, noires, grises, marron foncé, vert) et leur religion catholique ainsi que leurs chansons et leurs mets.
Les soirs d’hiver des voisines hongroises et allemandes filaient la laine ensemble, le chanvre, tricotaient des chaussettes, des bas, des chaussons (pacsker), des gants. Les hommes fabriquaient des couverts en bois, des râteaux, des fourches, des manches d’outils, des sabots.
Les habitants de souche et les nouveaux installés vivaient en paix. Ces derniers avaient un rôle important dans le développement de la région. Les plus doués de la troisième génération faisaient partie des strates les plus favorisées du village (par ex. les propriétaires des auberges Herbert et Don).

À la fin du XVIIe siècle dans près de 80 maisons presque 400 âmes vivaient à Komló. En 1828 il y en a 491. Après la pandémie de choléra qui a décimé la population, en 1831, le nombre des habitants a baissé à 415 (Joseph Kutnyánszky).
Venant des villages aux alentours d’autres ménages allemands s’installèrent, ainsi, de 14 au début du XIXe siècle leur nombre est passé à 45.
Dans l’année 1880 où, Adolf Engel, d’origine juive, établit le lien avec Komló, le nombre total des habitants hongrois et allemands confondus était de 417.

Les juifs, auxquels il appartenait, vivaient dans notre pays depuis des centaines d’années.
Nos gouvernants étaient tantôt tolérants, puis intolérants avec eux. Le texte qu’ils ont adressé pour leur émancipation à Joseph II, celui qui bâtissait son empire centralisé, est encore à ce jour poignant, et contient des pensées touchantes.
« Nous n’avons de pays nulle part ailleurs sur toute la terre, nous n’avons pas d’autres frères, que ceux avec lesquels nous vivons dans la même société, nous n’avons pas d’autres protections que les lois de notre patrie, nous n’avons pas d’autre refuges que les devoirs de l’humanité, selon lesquels l’homme a une dette inextinguible envers son prochain.»

Texte de Rózsa Jakab traduit par Anna Stein et Jean-Pierre Frommer

Rózsa Jakab : Vie nationale et ethnique à Komló (1/4)

Nous poursuivons ici la publication des contributions à la conférence "Intégration, assimilation et identité en Hongrie aux XIXe et XXe siècles", soirée débat organisée par l'association des Mardis hongrois de Paris à l'Institut hongrois de Paris le 10 novembre 2009.

Intervention de Rózsa Jakab
directrice du Musée de Komló

Vie nationale et ethnique à Komló


Histoire de la ville de Komló

De la ville de Komló, on ne pourrait pas faire autant de louanges que de la ville de Pécs, deux fois millénaire, située à 20 km et surnommée « l'Athénes hongrois ». Cependant jusqu'à ce jour elle dispose d’une très grande valeur d'environnement naturel, laquelle a eu un rôle incitant à l'installation ceux qui ont choisi cette région pour cadre de vie. Les forêts environnantes, riches de gibier et de bois, pouvaient être attrayantes pour les artisans et les chasseurs. Les archéologues ont mis à jour des traces de villas fermes romaines, mais quelques objets seulement sont visibles dans le musée local. L’histoire du haut Moyen Age ne perce qu'au travers des légendes. La première référence écrite est un document de 1256 d’une attribution de propriété. C’est à partir de cette date que l’on prend en considération l’histoire de l’agglomération, soit 753 années. Le petit village insignifiant est presque entièrement détruit pendant l’occupation turque. En 1687 dans 7 maisons délabrées, on pouvait compter seulement 9 "âmes vivantes". On l'a tenu longtemps pour un village arriéré.

On le nommait « la terre promise », le Monte Komló à l’instar de Monte Carlo, la ville du crime ou du"diamant noir", la ville socialiste, la ville agonisante, la ville de la musique et de la culture. Compte tenu des périodes historiques, chacun de ces noms était juste. Cette renommée est peut-être aujourd'hui notre fierté. À ce jour, la région de Komló n’est toujours pas reliée directement à Budapest ni par la route ni par le chemin de fer.

La possibilité d'accès vers la capitale est due à Adolf Jánosi Engel, qui en 1880 a acheté une propriété près de Komló, créant une ferme modèle et a entrepris la construction de la ligne de chemin de fer Komló-Mindszentgodisa. À cette époque, la population de la ville a augmenté, sa composition ethnique a changé.

Notre roi Étienne dans ses "admonestations" éduquait son fils, le prince Émeric, de la manière suivante : « Un pays de langue et de coutume uniques devient faible et faillible ». Il l’exhorte avec sagesse à respecter ses "étrangers". Cette tolérance envers des minorités vivant dans notre pays a tantôt prévalu, tantôt pas du tout. Dés l’adoption du christianisme et de sa propagation, les populations parlant des langues et ayant des traditions différentes sont apparues dans le pays, avec des styles de vie, de culture, de culture du travail et leur propre histoire. Le développement de l’histoire de la région a rendu la population de plus en plus bariolée. L'obtention des moyens d'existence et la recherche de la réussite sociale ont autant influencé et influencent la conscience individuelle et nationale, l'assimilation, l'intégration, la destruction, l’anéantissement de ces populations que les immenses tragédies de l'histoire. La formation du concept de nation hongroise constitue un processus historique douloureux. Il fut un temps où le peuple constituant vraiment la nation était fait de sujets soumis. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, la nation était constituée des membres dotés des privilèges de la noblesse féodale. Le concept de nation et la conscience nationale en Hongrie au sein de la Monarchie avec l’émergence de la bourgeoisie en voie de capitalisation laisse aussi à désirer.

Texte de Rozsa Jakab traduit par Anna Stein et Jean-Pierre Frommer

mercredi 18 novembre 2009

Gábor Szirtes : L'avènement de la bourgeoisie et l’intégration sociale des Hongrois juifs Adolf Engel 3/3

Gábor Szirtes
L'avènement de la bourgeoisie et l’intégration sociale des Hongrois juifs
Adolf Engel 3/3

Retour à l'Histoire
En nous remémorant ce représentant exceptionnel des Hongrois juifs nous ne devons pas oublier le triste souvenir des faits historiques. Après la Première Guerre mondiale, l'antisémitisme s’est intensifié à Pécs, les Juifs étaient chargés de différentes accusations, ainsi auraient-ils été hostiles à l'idée nationale et en 1918-21 durant l'occupation serbe auraient-ils été impliqués dans des outrages envers Horthy et auraient eu une conduite déloyale dans des affaires. Déjà dans les années 1920, la propagande antijuive s'intensifiait, les passants juifs étaient insultés, un certain nombre de familles juives - comme éléments indésirables - étaient expulsées de la ville, certains organismes (par exemple l’Association Baross) propageaient des idées anti-juives. Les années 1930, relativement plus paisibles, ont finalement été le théâtre de manifestations antisémites, d'atrocités anti-juives, et des lourdes conséquences des première et deuxième lois juives (1938-1939). Un climat dominé par la peur les ont clos. À partir de là, le chemin était tracé qui a conduit vers l'occupation allemande (19 mars 1944) et à sa suite, les déportations de la période honteuse de la Hongrie (et de l’Europe).
En Mai 1944, fut mis en place le ghetto de Pécs, dans une de ces rues dans lesquelles je vis avec ma famille actuellement. Parmi les juifs de Pécs à peine quelques personnes ont échappé à la déportation. Des quelque trois milliers et demi de Juifs de Pécs, environ 80% sont devenus des victimes de la déportation et du travail forcé.
Avons-nous appris de l'histoire? Je pense que oui, mais pas assez. Parce que - en particulier pendant la période de crise économique, dans les tensions sociales, - on décèle des pensées extrémistes et l'amplification des comportements agressifs envers des minorités, les vieux préjugés contre les autres religions, parmi eux la réapparition de l'antisémitisme. Cela est vrai même aujourd'hui. Bien que je ne connaisse pas les résultats des recherches empiriques, des détails exacts, mais d'après mon expérience, j'ai noté que, dans la société hongroise, cela concerne seulement une infime minorité. Dans la majorité, elle est loin l’idée de la «conspiration juive internationale» et de «la juiverie internationale voulant absorber la Hongrie," pensées exprimées par les extrémistes. La majorité tient comme valeur la diversité des langues, des cultures, les traditions, la variété des habitudes, la mondialisation de ce nouveau millénaire- comme partout, y compris la Hongrie le multiculturalisme se renforçant. C’est dans cet esprit que se prépare la ville de Pécs, jadis celle d'Adolf Engel, pour 2010, lorsqu'il lui sera attribué le titre de Capitale Européenne de la Culture dont il sera le fier propriétaire.
Texte de Gábor Szirtes traduit par Anna Stein et Jean-Pierre Frommer

Gábor Szirtes L'avènement de la bourgeoisie et l’intégration sociale des Hongrois juifs Adolf Engel 2/3 :

Gábor Szirtes
L'avènement de la bourgeoisie et l’intégration sociale des Hongrois juifs
Adolf Engel 2/3


La vie d'Adolf Engel
C’est de telles circonstances qui l'ont vu naître et sa carrière fut accompagnée de telles contraintes. Les citoyens de la ville étaient habités par des préjugés, par l'antipathie religieuse contre les juifs, lorsque Adolf Engel a commencé son entreprise, enfant, orphelin précoce, comme petit vendeur de rue. Il y avait encore des préjugés médiévaux envers les juifs, la ville essayait par tous les moyens de préserver le caractère catholique pour lequel l‘évêque,en 1692, avait fait faire vœu par les citoyens. Les juifs, qui venaient en colporteurs dans la ville, étaient désignés comme boucs émissaires par les commerçants, lorsque les affaires ne marchaient pas bien. L’exclusion des concurrents sérieux étaient de mise et les ambitions rivales étaient fortes. Les conditions ont changé vers le dernier tiers du XIXe siècle : le processus de l'émancipation, l'inclusion sociale et la réconciliation en 1867 avec l’Autriche, s’est approfondie. Les juifs en grand nombre prenaient part à la vie culturelle et économique du pays. La plupart d'entre eux pouvaient également s’identifier avec la nouvelle Hongrie libérale.
En considérant ses débuts de jeune orphelin, les conditions hostiles de départ dont les juifs souffraient, nous pouvons porter en haute estime la performance exceptionnelle d'Adolf Engel, qui a perçu les opportunités permettant son ascension sociale. Dés l’âge de 11 ans vendeur de rue, il a gagné son pain, le soir il a continué assidûment sa formation, a étudié des langues, il se lançait des défis dans de nombreux domaines pour se tester lui-même: il a commencé un négoce de tabac, a ouvert une boutique de meubles et de vêtements, il revendait des glands de hêtres, a établi un commerce de bois, installé une scierie, entrepris des travaux de construction, a ouvert le premier dépôt de charbon à Pécs, dans la vallée de Balokány, il a construit une piscine, bâti un bain de vapeur public et créé une entreprise de scierie à la vapeur, de production de parquets. Avec un travail soutenu, sa fortune s' accroissant de plus en plus, il devenait un capitaine d’industrie. Entre-temps - en 1877 à Vienne et ensuite avec la participation à l’exposition universelle de Paris de 1878 - est arrivé la renommée internationale. Ce n’était pas, il est vrai, la Légion d'Honneur française « annoncée » par les médias, mais la brillante médaille d'or qu’il a reçue, puis l'Ordre d'Or de la médaille de mérite en récompense du roi.
Mais il ne se satisfaisait pas de ces réussites. Au tournant des années-1870-1880, il prit d'importantes décisions : il fit l’acquisition des domaines de Felsőmindszent, puis acheta la propriété de Jánosi du Prince Alfred de Montenouvo. D'ancien colporteur, il devenait maintenant propriétaire terrien. Et pas n'importe lequel, il fit améliorer l’état des habitations des journaliers, lequel laissait à désirer, il assura l'éducation de leurs enfants, soutint financièrement le temple juif et au nom de la paix confessionnelle- il restaura le presbytère du village. À l’occasion de l'exposition de1885 à Budapest l’Empereur François-Joseph Ier en 1896 lui accorda le titre de noblesse hongrois avec le patronyme de « Jánosi". Mais le riche cheminement de sa vie était loin d’être fini, c’est ensuite qu’a commencé la grande entreprise de sa vie : il a prouvé que dans le village de Komló du charbon de haute qualité était profondément enfoui dans la terre. Le créateur de l’industrie du bois de la région de Sud-Transdanubie est à l'origine d'un siècle d'exploitation minière et il a lancé la mise en marche des mines de charbon de Komló.
Le cheminement de sa vie, qui coïncide avec la formation du concept d'Etat-nation hongrois, et l'élaboration du concept moderne de nation hongroise, notions contradictoires avec celles, accablant souvent les minorités, celles dont la religion était différente de la religion catholique romaine. Cela démontre que l'intégration sociale des juifs et leur réussite économique est réalisable dans une société non-juive. C'est certainement ce qui n’a pas permis au nationalisme juif, et au sionisme de développer des racines profondes dans la monarchie austro-hongroise, et ainsi n’a pas créé de conflit insurmontable entre juifs et non-juifs. Face à l’enseignement de Theodor Herzl, d'origine hongroise, selon lequel il n’existe que deux voies, ou « l’auto-sabordage » par des mariages mixtes, ou l’Etat national juif, Adolf Engel au travers de toute sa vie a démontré la possibilité d'une troisième voie. Sa trajectoire sous la double monarchie est celle d'un grand industriel, émergeant de la pauvreté, qui met toute sa diligence, ses connaissances au service de la civilisation, du développement industriel hongrois, et de la ville de Pécs. Toute son activité est celui du grand entrepreneur qui a dépassé les limites fixées par l’époque, les préjugés ethniques et religieux, a combattu les injustices et obstacles juridiques auxquels les juifs étaient confrontés. Par son humanité et son caractère nobles, de sensibilité sociale, il a surmonté les difficultés en maintenant son identité juive tout en s'adaptant aux conditions de la vie hongroise, il a gagné l'appréciation et la renommée de la branche de production nationale elle-même, dans la vie publique et la vie de la communauté juive. Aujourd'hui nous le considérons en tant qu’entrepreneur à succès hongrois d'origine juive, de confession juive qui avec une conscience juive et avec un sentiment sincère d'appartenance hongroise s’est intégré dans les conditions du pays du XIXe siècle, plus précisément celles d'après 1867.
Pour consacrer son patriotisme local, son nom fut donné à une rue de son vivant, et plus tard à Komló une statue a été érigée en son honneur. Après le changement de régime hongrois dans notre monde où une nouvelle bourgeoisie émerge, il est la référence d’une personnalité, qui a laissé un héritage durable. Et si, malheureusement sa propriété jadis prospère de Mecsekjánosi, finissait par dépérir, sa personnalité serait immortalisée dune manière digne par les - textes et les images,de l’ouvrage paru en 2008, chez Pro Pannonia Publishing et après par les présentations de ce livre faites à Pécs, à Komló, et maintenant aussi à Paris. Il a été fait de même dans le roman, attendant un éditeur, « Trente Pièces d’Argent » écrit sur sa vie par l'écrivaine bien connue, Denis Giselle il y a des décennies.
Texte de Gábor Szirtes traduit du hongrois par Anna Stein et Jean-Pierre Frommer

Intégration, assimilation et identité en Hongrie au XIXe et XXe siècles : contribution de Gábor Szirtes à la conférence du 10 novembre 2009

Le 10 novembre 2009, l'association des Mardis hongrois de Paris a organisé une conférence à l'Institut hongrois sur le thème de « Intégration, assimilation et identité en Hongrie au XIXe et XXe siècles ». Les intervenants de la soirée étaient

Clara Royer, chercheuse au sein du CIRCE (Paris IV) spécialisée sur la culture juive hongroise, Étienne Boisserie, historien spécialiste de la Slovaquie (INALCO), Gábor Fleck, sociologue spécialiste du monde tsigane (contribution écrite), Gábor Szirtes, directeur des éditions Pro- Pannonia de Pécs, éditeur de l’autobiographie Eletemből de Jánosi Engel Adolf (aïeul d’Anna Stein), Rozsa Jakab, directrice du Musée de Komló qui a fait traduire le texte allemand en hongrois et a eu l'idée de son édition, Anna Stein, peintre et sculpteur.

Krisztina Ginsztler-Bertrand et Jean-Pierre Frommer, président de l’association des Mardis hongrois de Paris assuraient l'animation.

Certaines des contributions seront publiées sur le présent blog.

Gábor Szirtes

L'avènement de la bourgeoisie et l’intégration sociale des Hongrois juifs

Adolf Engel

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Un peu d'histoire

Un poète inconnu il y a des siècles a décrit la ville de Pécs comme « l’Athènes de la Hongrie », Mustapha Dszeleaàzada, l’homme d’Etat de renom du XIVe siècle avait qualifié « cette grande ville ancienne de semblable au Paradis », pour son site ravissant au pied de Mecsek. Le siècle suivant le voyageur français, membre de l 'Académie de Lyon, Jean- Claude Flachat notait qu’il n’avait pas vu de ville plus charmante en Hongrie. F.S. Beudant le géologue français, au début du XIXe siècle, a loué sa belle situation et son architecture. « C’est une des plus belles villes que j’ai vues » disait le comte Hoffmansegg qui collectait l'observation des insectes et des riches évènements au XVIIIe siècle. On admirait le paysage, la richesse des récoltes de fruits, ses vins corsés, et les charmes des dames de cette ville. Depuis le XIXe siècle, on a apprécié la coexistence harmonieuse de l’industrie et de la nature.

C’est bien à partir du milieu du XIXe siècle que la coexistence de la nature et de l'industrie et d'autres facteurs de développement urbain comme les secteurs de l'éducation, de la culture et de la santé ont joué de façon intense sur l’éclosion de l'économie. Les productions artisanales étaient relayées par des manufactures, puis par les industries. Les mines de charbon fonctionnaient depuis un siècle et demi, des entrepreneurs qualifiés apparaissaient qui ont parcouru l’Europe, et sont devenus des partenaires dignes de la concurrence internationale. Jozsef Angster est devenu un constructeur d’orgues très connu, ses voyages l’ont conduit jusqu’à Paris où il a capté le savoir faire du grand maître des constructeurs d’orgues, Aristide Cavallé-Coll. De même, des industriels et hommes de métiers de Pécs, de renommée européenne, voire internationale ont produit au XIXe-XXe siècles l’usine de porcelaine Zsolnay, qui concurrençait celle de Meissen, l’excellence des gants Hammeli, le champagne Littke, consommé sur trois continents, pour ne donner que quelques exemples. Ils ont représenté un nouveau mode de pensée, un nouveau comportement, une mentalité et des valeurs nouvelles. C’étaient les créateurs, promoteurs du développement bourgeois, pour eux richesse, bourgeoisie et moralité n’étaient pas des concepts contradictoires, mais consubstantiels. Ils savaient que les conditions de la participation à la concurrence est le savoir, la compétence, l’acquisition des connaissances à l’étranger et leur fructification, la recherche et la volonté de créer sans cesse du nouveau, la qualité sans faille et l’apprentissage durant toute la vie. Ils savaient que pour cela la culture du travail, la discipline, le respect de l’ordre, la ponctualité sont indispensables, et la sensibilité sociale est nécessaire pour établir des relations correctes avec leurs ouvriers. Une vie familiale et une vie privée équilibrées, la confiance en eux-mêmes, l’appréciation continuelle de leur valeur produira leur crédibilité morale et économique.

Ils voyaient que leur réussite personnelle et celle de leur ville et de leur pays étaient indissociables. Le développement du territoire, l’environnement, l’urbanisation, la formation de la ville, le développement des installations sanitaires et d’enseignement, la création des institutions culturelles ont fait corps avec eux. De cette façon la ville de Pécs qui comptait 16.000 habitants en 1850, passait à 48.000 en 1910, devenant un centre important de la région Transdanubie du sud, disposant d'une sérieuse infrastructure industrielle, humaine et culturelle. Sa littérature, sa vie musicale, artistique et théâtrale étaient de haut niveau. De cette façon s’accomplissait la constitution de cette bourgeoisie avec la cohabitation dans cette ville multicolore d'ethnies et de religions multiples : des Allemands, des Croates, des Bosniaques, des Hongrois, en outre, catholiques, protestants, orthodoxes, ou juifs qui se livraient une concurrence constructive non dépourvue de conflits et non sans volonté assimilatrice hongroise.

Adolf Engel était un représentant éminent de cette classe émergente représentant la force propulsive d’un nouvel ordre de valeur. Son cheminement, partant de rien, sa haute trajectoire pleine de lutte, ce que relate ce livre avec son autobiographie, que nous présentons, est un exemple caractéristique de l’intégration des juifs de Hongrie- non sans contradiction, accompagné de beaucoup de difficultés, mais intégration tout de même réussie. Les chercheurs de l’époque du tournant des XIXe et XXe-siècles, et les lecteurs de documents, articles de presse sont non seulement entrainés par l’élan de la période de croissance d’après 1867, mais aussi par le fait qu’à partir de cette époque ce n’est pas seulement l’origine sociale qui était la base de la réussite, mais de plus en plus les connaissances et les compétences. Il est également à considérer que pour les minorités ethniques et religieuses, il fallait affronter bien plus de difficultés que pour les nationaux. Beaucoup d’entre elles devaient faire le choix de préserver leur identité religieuse et leur langue, face à la conception « de la politique de la nation une et indivisible». Certains ont affronté les pressions du nationalisme contraignant, en gardant leurs religions, tout en participant à l’élan général. Pour moi il était naturel de donner sa place dans mon ouvrage « Panthéon de Pécs », paru il y a près de 15 ans, à Adolf Engel, d’origine juive, en tant que représentant de marque de cette communauté.

Après le règne turc (1543-1686) la ville de Pécs voulait retrouver ses racines chrétiennes- ce qui paraît étonnant de nos jours. C’est pour cette raison qu’en 1692 les bourgeois de la ville avec l’évêque Radonay ont fait vœu, que seules des personnes de confession catholique seraient admises à y résider. Cette décision a été confirmée chaque année, même en 1780, la ville devenant ville franche royale. Les juifs dans le district de Baranya, au nombre d'environ 4 à 500, principalement marchands et artisans, tentèrent plusieurs fois de s'établir à Pécs centre commerçant important pour leurs activités, mais sans succès. À partir de l'ordonnance de tolérance de Joseph II en 1783 une possibilité s’ouvrait aux juifs pour entrer dans une ville royale libre, en obtenant une autorisation temporaire, le « commorans ». Dans cette ville deux autorisations seulement ont été accordées. L’une a été donnée en 1795 à Péter Engel, le père d’Adolf, qui après 29 ans de résidence a obtenu le statut de « tolérance », ce qui était non seulement définitif, mais concernait aussi ses enfants. Péter Engel a fait l’acquisition d’une maison vers le milieu des années 1820 et, après des difficultés, a obtenu des autorités l'autorisation de propriété. C'est dans sa maison, au 12 rue Zrinyi, que fut établie la première salle de prière des juifs de Pécs entre 1825-1843.

La situation d’exclusion des juifs s’est quelque peu améliorée en 1840, par l’ordonnance XXIX, qui leur autorisait l’accès des villes, excepté des villes minières, si le conseil municipal leur donnait l’autorisation. À Pécs, le conseil municipal a toujours essayé d’y faire obstacle.. Les requêtes ont été transmises aux corporations qui, redoutant la concurrence, les ont refusées. À partir de 1840 cela ne comptait plus et dès 1846 44 chefs de famille étaient installés de plein droit. L’essor économique était favorable à la population juive, et Adolf Engel et ses nombreux compagnons y ont pris part très activement. Leur nombre croissait rapidement : en 1857 il y avait 585, en 1869 1.623 , en 1880 2.244, en 1890 3.124 juifs habitant à Pécs. À la fin du siècle leur nombre dépassait 4.000, en 1922 4.292, c’était 9% de la population de la ville. Dans notre histoire c’était le nombre le plus important de juifs habitant à Pécs. Leurs établissements y prenaient place : entre 1816 et 1827 on créait le cimetière, on a fondé le consistoire en 1840, Adolf Engel en était membre, puis à partir de 1874 il fut élu président de cette assemblée. En 1843 on inaugura la première synagogue, rue Citrom, puis en 1869 sur la place Kossuth, celle en activité aujourd’hui. Adolf Engel fut l'initiateur de chacun des temples et apporta son soutien financier à leur réalisation.

D’autres difficultés et obstacles s'accumulèrent face à à leur réussite sociale. Après que les villes royales libres eurent refusé l’autorisation de l’établissement des juifs, la seule possibilité qui leur restait était d'obtenir une domiciliation par des grands propriétaires terriens auxquels ils étaient contraints de payer un tribut de protection. En outre, Marie-Thérèse avait imposé à partir de 1743 une taxe spéciale que l’on nommait à partir de 1749 « impôt de grâce », qu’ils avaient à payer simplement pour obtenir la tolérance de leur présence. Cette ordonnance fut abolie seulement en 1846. En 1842, Adolf Engel, en tant que personne de seconde classe avait à payer 4,16 Forints par an. Plus tard, il conduisit un mouvement local de huit personnes pour l'abolition de l'impôt de grâce.


Texte de Gábor Szirtes traduit par Anna Stein et Jean-Pierre Frommer