mercredi 16 avril 2008

L'adjoint au Maire de Budapest répond à la lettre ouverte du président des Mardis hongrois de Paris

ADJOINT AU MAIRE
DE LA VILLE DE BUDAPEST

A l'attention de M. Jean-Pierre Frommer
Président
Association "Mardis hongrois de Paris"


N° d'enregistrement : 120-27/8/2008
Objet : Réponse à la lettre publique portant
sur la situation du quartier juif de Budapest

Budapest, le 5 mars 2008

Monsieur le Président,

L'intérêt que vous manifestez à l'égard de notre capitale Budapest nous honore.

En répondant à vos réflexions au sujet du vieux quartier juif de Pest, il paraît nécessaire de dresser un tableau rétrospectif de cent ans d'histoire qui viendra nuancer les insuffisances visibles actuellement.

L'idée de la construction de la promenade Madách, sur le territoire du centre du quartier Erzsébetváros, a été évoquée de manière documentée pour la première fois au sein du Conseil des travaux publics de Budapest en 1900. Le projet de la construction de la promenade Madách avec les travaux de démolition qui lui sont associés a été approuvé par la Législature de Budapest (actuellement le Conseil Municipal de Budapest) en 1930. Les premières blessures dans le tissu urbain spécifique, à protéger à ce jour, datent de cette époque. Par la suite, l'idée de la poursuite de la Promenade, associée évidemment aux travaux de démolition supplémentaires, a perduré jusqu'à un passé récent (Schéma Directeur d'Urbanisme de l'année 2002). Il est évident que l'état des bâtiments situés dans l'espace destiné à la démolition s'est gravement dégradé et de ce fait les démolitions effectuées ultérieurement étaient souvent incontournables.

Comme vous l'avez mentionné dans votre courrier, seule une partie de l'ancien quartier juif de Pest relève de la zone protégée du Patrimoine Mondial. Le champ de compétence du Conseil Municipal de Budapest, dans le système municipal à deux niveaux de Budapest prévu par la loi, ne s'étend que sur cet espace protégé. Le Conseil Municipal de Budapest n'a pas de compétence pour ce qui concerne le reste du territoire de l'ancien quartier juif de Pest qui par ailleurs représente les deux tiers de l'ensemble du quartier. De ce fait, le Conseil Municipal de Budapest ne peut pas intervenir dans les processus se déroulant dans l'espace en question et il n'a pas la possibilité non plus de participer à l'élaboration ni à l'approbation des schémas directeurs d'urbanisme. Ces prérogatives relèvent du conseil municipal d'arrondissement. Seul l'Office de la Protection du Patrimoine Culturel peut s'opposer aux démolitions que vous évoquez ; toutefois, cette administration n'est compétente qu'en matière de bâtiments qualifiés de monuments classés.
Malgré les propos sus-mentionnés, la réhabilitation du quartier juif de Pest est une des premières missions prioritaires du Conseil Municipal de Budapest. La réhabilitation urbaine est une compétence relevant du Conseil Municipal de Budapest (prévue par la loi) qui nous a permis de nous associer au processus se déroulant dans le quartier juif. Le Schéma directeur de la réhabilitation de la zone en question sera élaboré dans un proche avenir grâce à un processus de concertation d'une durée supérieure à une année et nous espérons que ce document sera conforme au niveau de qualité exigé par l'importance de cette zone. Le Schéma directeur de réhabilitation constituera la base des démolitions ultérieures. La préparation de ce document est sous la surveillance d'un comité technique créé sur la base d'une délibération du Conseil Municipal de Budapest. Ce comité se compose des représentants du Conseil Municipal de l'arrondissement, de ceux du Conseil Municipal de Budapest et de collaborateurs de l'Office de la Protection du Patrimoine Culturel. Deux ONG assistent en continu au travail du comité technique en qualité d'invité permanent dont une est l'Association Óvás (Sauvegarde).

Nous sommes d'accord avec la mise en place d'une interdiction de changement évoquée jusqu'à la date d'entrée en vigueur du Schéma directeur de réhabilitation. Le conseil municipal de l'arrondissement a en effet ordonné l'interdiction de changement pour la zone protégée du Patrimoine Mondial (zone ayant l'importance de monuments classés) et ce jusqu'au 31 mai 2008 car l'Office de la Protection du Patrimoine Culturel aura examiné à cette date les bâtiments situés dans l'espace en question et élaboré des recommandations les concernant. Le comité technique créé par le Conseil Municipal de Budapest a proposé au conseil municipal de l'arrondissement de prolonger l'interdiction de changement mais ce dernier l'a refusé à ce jour ; la situation est la même pour ce qui concerne le rapport rédigé sur la visite du commissaire de l'UNESCO. Nous avons demandé au conseil municipal de l'arrondissement de ne pas arrêter les processus avant la réception officielle du rapport ; cependant, l'arrondissement n'a pas non plus donné son aval pour cette affaire.

Le tableau esquissé ci-dessus peut probablement faire ressentir nos efforts ; en effet, nous avons fait de notre mieux au regard de notre champ de compétence. Le processus de l'approbation du Schéma directeur de réhabilitation n'est pas encore achevé et vu notre conviction ferme que suite à l'entrée en vigueur du nouveau Schéma directeur de réhabilitation les processus engagés dans le quartier juif évolueront dans la bonne direction nous demandons votre aide afin d'agir auprès du conseil municipal du 7ème arrondissement investi du droit décisionnel vu la répartition des compétences, dans l'intérêt de la sauvegarde de la zone en question et de l'achèvement dans les meilleurs délais des processus positifs engagés.

Veuillez agréer, Monsieur, mes sincères salutations.

Ikvai-Szabó Imre
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Jean-Pierre Frommer
Président de l'Association des Mardis hongrois de Paris

Paris, le 3 janvier 2008
Monsieur le Maire de Budapest
Főváros Főpolgármesteri Hivatal,
1052. Budapest, Városház utca 9-11,
Hongrie

Objet : La situation dans le quartier juif de Budapest
P.J. Une pétition

Monsieur le Maire de Budapest,
Je vous écris cette lettre en tant que président de l'Association des Mardis hongrois de Paris, association dont l'un des buts est de défendre et de promouvoir la culture hongroise à Paris. Nous sommes persuadés que cette culture est d'une richesse extraordinaire, qu'elle a apporté et qu'elle continue d'apporter une contribution non négligeable à la culture mondiale. C'est pourquoi nous cherchons, à notre faible mesure, d'en assurer le rayonnement à Paris et en France. En témoignent par exemple quelques évènements récents à Paris comme la soirée « Hommage à Sándor Ferenczi » que mon association a organisée aux côtés de psychanalystes et qui a réuni environ 200 personnes et aussi le très beau festival de littérature hongroise.
J'en viens donc à la raison de mon courrier.
Nous suivons depuis maintenant quelques années avec beaucoup de tristesse, de stupéfaction et parfois de colère ce qui se passe dans le « quartier juif » de Budapest. Ce qui se déroule là-bas n'est pas digne d'un pays moderne et civilisé. Ce que la guerre, le nazisme et le stalinisme n'ont pas réussi à détruire est en train de disparaître sous nos yeux. Il s'agit de pans entiers de l'architecture et de l'urbanisme du 19ème et du début du 20ème siècle qui partent en poussière. Il s'agit de tout un tissu urbain, social, culturel, cultuel qui est dénaturé, abattu, perdu à tout jamais.
Il s'agit d'un patrimoine unique au monde d'une très grande richesse dont apparemment les décideurs hongrois ne mesurent absolument pas la valeur culturelle et économique. Je ne peux expliquer autrement le train de démolitions qui va en s'accélérant.
Ma virulence vous paraîtra peut-être exagérée, m'adressant aux plus hautes autorités politiques de votre pays, mais elle est à la mesure du scandale et je ne peux comprendre que la Hongrie laisse ainsi disparaître ce qui n'appartient pas seulement aux Hongrois mais à l'humanité entière. Il s'agit d'un patrimoine mondial, même si une partie seulement du secteur concerné est inscrit au Patrimoine de l'UNESCO. Nous ne pouvons aujourd'hui nous retrancher derrière nos frontières nationales pour dilapider un capital mondial.
Il faut arrêter les dégâts. Je ne fais pas seulement appel à votre sens de la culture mais aussi à votre compréhension des enjeux économiques à long terme.
Inversez les choses, c'est en votre pouvoir : fixez un moratoire sur toute démolition dans le secteur concerné, faites établir un plan de développement urbain soucieux de la préservation et de la mise en valeur de cet ensemble architectural et urbain que constitue le « quartier juif ».
L'argument communément avancé par les décideurs justifiant ces démolitions est un argument économique. Il n'y aurait pas d'argent pour faire les réhabilitations nécessaires alors qu'il y en a pour démolir et reconstruire en densifiant le secteur ? Je pense qu'on sacrifie l'intérêt économique à long terme de la collectivité y compris celui des investisseurs, à des bénéfices à très court terme, à courte vue, qui ne profitent qu'à une minorité, sans égards d'ailleurs pour les habitants qui sont chassés de leurs logements. Cet argument mérite d'être donc réexaminé. Ce quartier recèle un potentiel touristique extraordinaire et pourrait constituer un pôle de développement à l'instar d'autres quartiers du même type. Ce qui a été possible par exemple dans le quartier du Marais à Paris ou dans bien d'autres villes ne serait-il pas possible en Hongrie ? La loi Malraux a permis de sauver ce quartier riche en histoire et en architecture par des séries de mesures dont, à ma connaissance, des incitations fiscales. Aujourd'hui le Marais draine une affluence touristique et commerciale parmi les plus importantes de Paris.
Je ne veux pas croire que les Hongrois qui ont donné des Imre et André Kertész, des Attila József, des János von Neumann ou des Ödön Lechner aient moins d'imagination que d'autres peuples.
Au nom des signataires de la pétition, je vous demande d'imaginer d'autres solutions que celle de la destruction systématique d'un patrimoine qui nous est cher.
Il faut de l'argent, certes, mais il est possible de se le procurer, car la réhabilitation est un processus à long terme et les dépenses sont ainsi lissées sur plusieurs années (quelle que soit la réhabilitation, elle ne peut se réaliser qu'à moyen ou long terme) et il faut surtout une volonté politique.
La décentralisation de l'urbanisme a donné semble-t-il trop de pouvoir aux maires d'arrondissement. C'est à l'Etat hongrois et à Budapest-capitale de mettre les garde-fous qui protègent l'intérêt national et le patrimoine mondial. Cette volonté politique pourrait se manifester par une réglementation stricte adaptée à la nature de patrimoine mondial du secteur.
En tant qu'association des Mardis hongrois de Paris, nous avons fait signer une pétition au Directeur du Patrimoine de l'UNESCO que je vous adresse ci-jointe. Vous pourrez y voir le nom de personnalités importantes de la culture, des arts et lettres, des experts de l'aménagement, de l'architecture et du patrimoine, des personnalités politiques, des scientifiques, des avocats éminents, mais aussi de simples particuliers comme moi qui ne comprennent pas. Cette pétition a recueilli à ce jour 312 signatures. Nous continuerons à agir pour mobiliser l'opinion publique jusqu'à ce que des mesures significatives soient prises parce que nous ne pouvons rester indifférents à ce gaspillage.
Suite à l'action de l'association Ovás! relayée par celle des Mardis hongrois de Paris, une mission d'expertise de l'UNESCO-ICOMOS s'est rendue du 5 au 7 novembre 2007 à Budapest pour faire un diagnostic sur la situation au regard de la conservation du Patrimoine mondial. Nous souhaiterions avoir connaissance de ce rapport d'expertise.
En espérant que notre requête rencontre votre attention et une prise de conscience des enjeux liés à ces destructions,
Je vous prie d'agréer, Monsieur le Maire de Budapest, l'assurance de ma considération respectueuse.
Jean-Pierre Frommer
Président de l'Association
des Mardis hongrois de Paris

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