"1956, un monde tremble, vacille et sa peau épaisse de vieux dinosaure se fendille douloureusement. Quelque part en Europe Centrale, un désir fou de vivre vient d'exploser, imprévu et magnifique. Un soleil radieux et sanglant déferle soudain sur les plaines hongroises défigurées par les miradors, et les rues se remplissent d'enfants armés, heureux. Partout, des trous sont découpés dans le drapeau national et sa silhouette mutilée flotte avec le parfum de la victoire, au milieu des volutes de poussières qui s'élèvent des décombres de l'étoile rouge, systématiquement effacée à coup de mitraillette de tous les bâtiments qu'elle surplombait.
«Ruszkik haza!», «Les Russes, dehors!», ce sont les premiers mots de la langue locale qu'apprennent les reporters envoyés par Paris-Match afin de couvrir l'évènement. En effet, c'est ce qui interpelle les observateurs extérieurs : comment un peuple minuscule, ancré à un territoire exigu et dépourvu de tout appui extérieur, peut-il faire plier la deuxième puissance mondiale, l'immense Union Soviétique, le vainqueur de cette Deuxième Guerre Mondiale dont l'ombre de souffrance revient hanter les consciences tout au long du roman?
Malgré tout, pour François comme Anna, deux reporters-photographes que le hasard d'une panne automobile a poussés à échanger les premiers mots, le regard géopolitique n'est pas le plus parlant. Ils ont choisi ce métier par goût de la beauté et de l'aventure, et finalement qu'importe si l'intervention française sur le canal de Suez augure mal de la publicité donnée à leur travail ; ils ne sont pas là pour ramener des images de cadavres, mais des instantanés de la joie, de l'énergie, même désespérée, qui coulent à si gros bouillons sur les pavés noyés de chaux par précaution sanitaire.
Cette vitalité, ils la trouvent sur le visage des combattants, épuisés, amoureux, emportés par le jeu à échelle géante de la guerre – échelle pourtant si étroite puisque, au-delà des frontières, l’indifférence est aussi violente que l’enthousiasme dans les rues de Budapest. Mais surtout, la rage d’être enfin vivants leur apparaît à l’endroit où ils l’attendaient le moins : au creux d’eux, dans leurs cœurs, leurs ventres, tout autant que dans leurs yeux. Après la jouissance extrême de la rébellion, extase et héroïsme dont ils veulent témoigner à tout prix, même la servitude n’aura plus jamais le même goût, entachée d’amertume et d’orgueil qu’elle est désormais. Et l’on n'imagine pas l’éclair de lucidité provoqué par l’embrasement, laisser indemnes ceux qu’il a, un temps, brûlés.
Avec ce remarquable roman richement documenté (qui a l’élégance de refuser d’enfermer l’évènement dans des problématiques purement stratégiques), Danièle Georget dresse le tableau saisissant de dix jours qui portaient en eux le germe d’une révolution trop abasourdissante pour que le monde prête attention à ce qu’avec sa myopie habituelle il a pris pour un portrait sépia. Évidemment, à côté du beau spectacle offert par les soldats bronzés, propres et solidement armés qui prenaient position près du canal de Suez, sur fond de ciel bleu, «les héros de Budapest, avec leurs bérets, leurs mitaines, en avaient pris un sacré coup de vieux». Ils n’étaient pas photogéniques. Et pourtant, l’écriture souple, riche de comparaisons, visuelle et venant du cœur recrée pour nous leurs silhouettes et leurs rêves, tout cela à partir de l’histoire véridique de Jean-Pierre Pedrazzini dont la statue sur la place Köztarsasag rappelle aux Hongrois qu’il y a eu un étranger pour partager leur combat."
Aurore Lesage
Source : Parutions.com
Danièle Georget : Une passion hongroise
Plon 2008 / 21 € - 137.55 ffr. / 379 pages
ISBN : 9782259208321
FORMAT : 13.5 x 20.5 cm
Date de parution : 21/08/2008.
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