( CD du duo " KOR ", sortie chez Leo Records
Joëlle Léandre : contrebasse
Akosh S. (Szelevényi Àkos) : clarinette basse, saxophones ténor et soprano, flûte, clarinette métal, cloches.)
Joëlle Léandre par Philippe Robert:
C'est un goût prononcé pour le risque qui caractérise le parcours musical de la bassiste Joëlle Léandre. Bien que d'origine modeste (son père était cantonnier, et elle se plaît à dire qu'il a fait les routes qu'elle arpente aujourd'hui), elle s'adonne à la musique très tôt, vers neuf ans.
Il fallait bien trouver des élèves pour cet instrument ! ironise-t-elle en pensant à son passage par le conservatoire d'Aix. Finalement, ce qui l'attire au point qu'elle succombe à son charme, c'est le son de la contrebasse, son corps, sa verticalité, sa présence.
Sa richesse et sa profondeur me captivaient comme la difficulté même d'aller chercher les sons sur cet instrument. C'est qu'elle est grande la boîte à fouiller dit-t-elle d'un air entendu
Sa vie est pavée de rencontres qui s'échelonnent depuis le début des années 80 avec des musiciens pour qui expérimenter et partager est un art de vivre, des rencontres qui expriment la diversité de ses influences musicales : John Cage, Giacinto Scelsi et Derek Bailey par exemple. John Cage m'a fait écouter le monde autour de moi. ‘Laisse le son être ce qu'il est’ m'a-t-il dit. Il m'a ouverte à une infinité de possibles que je continue à explorer aujourd'hui.
Les prix, le conservatoire, la formation à la lecture et à la musique d'orchestre, sa participation à de prestigieux ensembles comme Itinéraire, 2E 2M ou l'Ensemble Intercontemporain de Pierre Boulez auraient pu la convertir à la pratique exclusive d'une musique plus ou moins académique. Au lieu de ça, elle a choisi de jouer au quotidien avec des musiciens passés maîtres dans l'art d'improviser.
La musique, c'est un langage. J'ai joué pendant vingt ans de la musique classique, contemporaine, lu des centaines de partitions, de structures et de formes complexes avant de comprendre que ce qui nous transforme et nous transcende, c'est tout simplement deux sons mis en mouvement qui peuvent nous parler du find fond des temps.
Les amis qu'elle a choisis sont ainsi ceux qui ont participé à sa volumineuse discographie amorcée avec Taxi : Maggie Nichols, Irène Schweizer, Annick Nozati, Lauren Newton (beaucoup de femmes, donc), mais aussi Lol Coxhill, Anthony Braxton, William Parker et des centaines d'autres. Avec eux, elle se consacre à l'exploration du son : Le son, c'est l'individu, toute son écorce, ce par quoi il passe ou doit passer, ses accidents et ses incertitudes, ses gloires et ses chambres où l'on attend, seul et fou d'aimer, de monter sur scène, et de dire.
Toujours en alerte, Joëlle Léandre n'oublie jamais l'urgence à dire, meilleur remède face à la rouille qui s'immisce quand la vigilance se relâche.
Vous savez, prendre la parole est important. Les femmes ont peu de modèles, d'idoles. Nous avons par contre la lourdeur d'une histoire à porter où les femmes n'étaient que muses, murées en tableaux ou en poèmes.
Aujourd'hui, Joëlle Léandre reste toujours en vibrations comme elle aime à se qualifier : de tout ceci, d'ailleurs, un remarquable ouvrage qui retrace sa carrière témoigne désormais.
A lire : Francisco Martinelli Joëlle Léandre, discographie Bandecchi & Vivaldi Editore
A écouter : «Ocean of Earth », enregistrement de Kevin Norton, Joëlle Léandre et Tomas Ulrich (BKH 007/Improjazz).
Akosh S.Akosh Szelevenyi dit Akosh S. est un saxophoniste et polyinstrumentiste hongrois installé en France depuis de nombreuses années. Ses enregistrements nous ont révélé un musicien d'avant-garde au son irradiant et velléitaire nous délivrant une musique délibérément libertaire entre jazz, folklore et transe. Il est par ailleurs le saxophoniste attitré du groupe Noir Désir et son groupe l'Akosh S. Unit assure les premières parties des concerts du groupe rock français.
C'est un chassé-croisé brillant de jazz free et d'apports folkloriques hongrois, un groupe aux oreilles grandes ouvertes et l'une des personnalités musicales les plus fécondes de la scène actuelle.
à propos du disque du duo :
Seule la méthode de l’improvisation libre permet ce type de rencontre impromptue et intime entre deux musiciens aux parcours somme toute assez différents. C’est un peu un hasard si le concert a été enregistré ce jourlà et, même si l’enregistrement d’origine (avant mastering) n’était pas d’une qualité technique extraordinaire, les deux musiciens ont décidé de privilégier la musique et de conserver une trace de leur rencontre sur scène.
Enregistrée (en situation acoustique, sans sonorisation) dans l’atmosphère hyper-réverbérée de l’ancienne synagogue
où se déroule le festival à Györ, la musique qui se développe ici n’a rien à voir avec les images que l’on accole généralement au free jazz ou à certains clichés liés à la musique librement improvisée. Cette première prise de contact entre les deux musiciens prend des allures de conservation pleine d’humilité et de respect mutuel. Plutôt que de chercher à s’impressionner l’un l’autre par étalage de virtuosité et d’éclats, la rencontre s’avère amicale et sincère, sans fanfaronnade. Pourtant, le lyrisme et la retenue du tête-à-tête laissent entendre une tension, une rage contrôlée et un engagement lumineux qui sont l’apanage des artistes « en colère ». Dès le début de l’album, la musique se construit en traits subtils presque sereins, par petites touches, laissant pourtant planer un suspense délicat. Le passage du soprano à la clarinette, puis au ténor contribue à enfiévrer encore davantage l’équilibre des timbres et des couleurs, dans une interaction quasi-télépathique avec les lignes imperturbablement acérées, virevoltantes et précises de la contrebasse. Tout semble aller de soi au cours de ces splendides échappées presque pointillistes par instants, d’un lyrisme tourmenté, privilégiant les grands espaces et le culte du détail, avec un sens très sûr de la dramaturgie qui laissent l’auditeur réjoui et pantois.
Gérard Rouy
Source, réservations et informations
rueleon.net