Je repense souvent à ce livre de Zoltán Szabó paru, dans sa traduction française, il y a tout juste trois ans. Pour être plus précis, j'y repense lorsque je pressens qu'une catastrophe petite ou grande se prépare, se déroule sous nos yeux et qu'une léthargie ou une inconscience généralisée semble s'emparer du monde environnant. C'est ainsi que Zoltán Szabó décrit l'entrée des troupes d'occupation dans Paris en 1940. Il y a une démesure totale entre l'énormité des évènements qui surviennent et la conscience qu'en ont les populations, les politiques et les médias.
Voici comment "Exils", l'éditeur présente cet ouvrage :
« Tout va dans la même direction : véhicules, camions, voitures, vélos, piétons ; personne ne va vers le centre de la ville. Tout le monde quitte la ville, quitte son chez-soi, quitte son lieu de travail, quitte Paris, en avant, vers le sud. Sinistre spectacle ! La ville déverse les gens comme sac troué le blé. C’est au Lion de Belfort que je gagne la route nationale. Là, le spectacle est terrifiant et presque incroyable : cet exode féroce y révèle toutes ses dimensions. Les avenues, qui y débouchent en forme d’étoile, déversent leur contenu au pied du mémorial : comme si quatre rivières se jetaient les unes dans les autres au moment des crues. »_
C’est un jeune Hongrois de vingt-huit ans qui arrive à Paris, en janvier 1940, pour utiliser la bourse offerte par l’Etat français à un chercheur en ethnographie. Happé par l’histoire, il devient le témoin de bouleversements politiques et sociaux, de l’effondrement d’un régime, d’une civilisation peut-être. Entre mai et juillet, il continue à écrire pour la presse hongroise des reportages où il décrit avec acuité cette " débâcle " et tente d’en donner les raisons, en sociologue et en Européen, épris de liberté. Le livre de Zoltan Szabó, publié dès la fin 1940 à Budapest, est un document sans équivalent, " dramatique, mais aussi élégiaque ", comme le précise Gyula Sipos dans sa préface. Un adieu au Paris d’hier et à la Vieille Europe."
A l'époque de sa parution, j'avais assisté à une conférence à l'Institut hongrois de Paris, en présence de Suzanna Szabó, veuve de l’auteur, de François Fejtö historien-journaliste, d’Agnès Járfás, traductrice, de Gyula Sipos, de l’éditeur et d'un auditoire nombreux et attentif.
En voici un petit compte-rendu.
Zoltán Szabó est né à Budapest en 1912. C’est en 1936 qu’il écrit son premier ouvrage « A tárdi helyzet »- (La situation à Tard) livre de sociographie qui pointe le désarroi d’une population rurale forte de trois millions de mendiants. Zoltán Szabó, amoureux de la France et de sa littérature, obtient en 1940 une bourse de l’Etat français pour venir à Paris. C’est durant son séjour en France, en mai-juin 1940, qu’il assiste à la débâcle militaire française et qu’il écrit l’ouvrage qui vient d’être publié aux Editions Exils « L’effondrement ». Le livre sera publié en Hongrie en 1940 sous le titre « Összeomlás ». L’auteur retourne à Budapest en août 1940. Pendant la guerre il tient une rubrique dans le quotidien, alors libéral, Magyar Nemzet. Après la guerre il collabore à une revue, Valoság. En 1949 voyant que la Hongrie devenait totalitaire, il part s’installer d’abord à Londres puis plus tard en France où il finira ses jours en 1984. C’est lui qui a contribué à faire connaître l’œuvre d’István Bibo d’abord en Angleterre et en Suisse puis en Hongrie.
François Fejtö, le grand journaliste et historien d’origine hongroise a très bien connu Szabó dés les années trente. Il rapporte comment Szabó a été le premier en Hongrie à aborder la question agraire. Le Régent Horthy a pris le pouvoir entre les deux guerres mondiales, à la suite de l’écrasement de la Commune de Budapest. Il remet le pouvoir aux grands propriétaires terriens. La situation foncière de la Hongrie ressemble à celle, aujourd’hui, de ces pays latino-américains avec leurs grandes latifundias sur lesquelles travaillent des paysans misérables. La société a conservé une structure féodale. Le grand problème de la Hongrie d’alors était : comment aller vers la démocratie. Parmi les premiers intellectuels à aborder le problème de la Hongrie rurale et de la paysannerie on comptait Zoltán Szabó. Brossant un tableau du village, il a éclairé ce qui se passait dans le pays. Elégance de style, idéalisme et courage caractérisent le personnage de Szabó selon François Fejtö. Alors que ce dernier appartenait au parti social-démocrate, parti de gauche toléré par Horthy, Zoltán Szabó était quant à lui plutôt patriote. Il a fait sienne la cause de la paysannerie hongroise qui était sous contrôle policier et qui n’avait pas le droit de s’organiser politiquement ou syndicalement. Fejtö nous rappelle que Zoltán Szabó était déjà, à 26 ans, un écrivain de grand talent.
François Fejtö dresse un tableau de l’époque. La Hongrie s’est alliée à l’Allemagne nazie espérant ainsi reconquérir ses territoires perdus suite au traité de Trianon (les 2/3 de son territoire). La classe dirigeante dans sa grande majorité était réactionnaire. La revue que je publiais avec Attila József, dit-il, a été interdite. Zoltán Szabó, au travers de ses articles dans Magyar Nemzet, a continué sa bataille pour la réforme agraire, pour la paysannerie et aussi contre les allemands. C’était un idéaliste, il espérait la libération de la Hongrie. Dans le livre qui nous intéresse, l’auteur rend compte de la décadence de la France mais avec modération et objectivité. C’est un regard porté par un jeune hongrois de 28 ans, un témoignage très intéressant sur un moment dramatique de l’histoire de France. Elégance, douleur refoulée marquent les écrits de Szabó lors de la période de l’après deuxième guerre selon François Fejtö. Et il ajoute : voyant l’effondrement de la jeune démocratie hongroise, lui en tant qu’attaché culturel à la légation hongroise et moi comme journaliste, nous avons connu l’espoir et l’effondrement de cet espoir. Nos visites à Budapest nous ont confirmé dans nos craintes. Zoltán Szabó et moi avons « choisi la liberté » et sommes devenus des exilés, conclut François Fejtö. L’éditeur et la traductrice, Agnès Járfás (traductrice d’Esterházy) nous parlent ensuite du livre lui-même qui n’a pas été réédité depuis 1940. Ce livre recouvre plusieurs genres. Réflexion, action et descriptions y alternent. Il est à la fois roman d’aventures et roman à suspens. Il est découpé en trois parties. La première traite du séjour parisien en tant que correspondant de presse, témoin privilégié de la situation, c’est le suspens, il restitue le présent. Une deuxième partie dans laquelle l’auteur prend le chemin de l’exode, ce sont 180 pages d’aventures, de portraits grotesques, poignants, de témoignages plein de compassion. A noter que Zoltán Szabó ne se prive pas de faire des critiques sur la situation française. Les 80 dernières pages retracent le séjour sur la Côte d’Azur en zone « dite » libre.
Suzanna Szabó, sa veuve dresse enfin un portrait de l’homme Zoltán Szabó. Il s’est initié à beaucoup de choses en France et, ajoute-t-elle, avec une pointe d’amusement, notamment à manger. A une question lui demandant s’il lui arrivait de parler de son livre, Suzanna Szabó répond qu’il parlait beaucoup de la période couverte par le livre mais pas du livre lui-même. Il était beaucoup plus concentré sur l’avenir.
Un auteur donc à découvrir que beaucoup ne connaissent pas en Hongrie, mais qui est très admiré par ceux qui ont eu la chance de le découvrir. Ignorés des cours de littérature jusqu’à la fin des années 70, il commence à réapparaître à partir des années 80. Le livre de Zoltán Szabó, est un document sans équivalent, « dramatique, mais aussi élégiaque », comme le précise Gyula Sipos dans sa préface. Un adieu au Paris d’hier et à la vieille Europe, peut-on lire sur la jaquette du livre.
Zoltán Szabó, L’effondrement. EXILS (Editeur)
On peut trouver ce livre à la FNAC
lundi 23 janvier 2006
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