De
tous les pays qui formaient « l’Europe de l’Est » et
qui sont devenus indépendants depuis un quart de siècle, la Pologne
et la Hongrie sont ceux où la création théâtrale reste, sans
discontinuer, la plus vivante.
[…]
Revisiter
l’histoire polonaise, explorer les marges, pointer les lignes de
faille d’une réalité à travers le prisme familial ou intime,
c’est le sujet de bien des pièces et des spectacles, toutes
générations confondues. Que l’on écrive de nouvelles pièces (il
y a toute une pléiade de jeune auteurs, souvent des femmes, comme
Dorota Maslowska ou Antonina Grzegorzewska, la fille de « Jurek »)
ou que l’on revisite les chefs d’œuvre. Cela va souvent de pair
avec un éclatement du récit.
La
liste est conséquente, de Jan Klata à Radoslaw Rychcik en passant
par Attila Keresztes. Ce dernier a mis en scène son spectacle au
Teatr Śląski
de Katowice, ville industrielle. C’est là une autre donnée
significative: la fin de l’axe Varsovie-Cracovie. Désormais c’est
partout que le nouveau théâtre émerge en Pologne.
En
Hongrie, la province a toujours été un foyer de renouveau. C’est
de Kaposvar qu’est parti le nouveau théâtre hongrois qui a vu
grandir de belles figures comme Támas Ascher ou Gabor Székely.
[…]
Comme
en Pologne, les jeunes metteurs en scène hongrois questionnent leur
identité et regardent sans fard leur histoire passée ou présente.
Avec les récents et inquiétants changements politiques en Hongrie,
il y a de quoi faire. La compagnie HOPPart s’y emploie. Créée en
2007 cette compagnie indépendante réunit des acteurs sortis de
l’Académie du théâtre et du cinéma de Budapest où ils ont été
formés par Eszter Novak et Támas Ascher. Comme la compagnie de Béla
Pinter, les acteurs de la compagnie HOPPart pratiquent un théâtre
où la musique joue un rôle central. Leur Korijolanusz
mis en scène par Csaba Polgar d’après la pièce de Shakespeare
Coriolan,
questionne le fondement de la démocratie. Question on ne peut plus
pertinente aujourd’hui en Hongrie où la peur est revenue.
Ce
climat était déjà palpable en février 2011 au Festival Deszka,
festival des écritures contemporaines à Debrecen (la ville
hongroise après Budapest). Un festival créé par le directeur du
Théâtre Csokonaï (le grand théâtre de la ville) Attila
Vidnyanszky, formidable metteur en scène venu de la minorité
hongroise d’Ukraine (il a signé l’an dernier Ces
merveilleux hommes volants,
une extraordinaire évocation des trois cosmonautes russes qui se
disputaient le titre du premier homme à aller dans l’espace). Le
festival était parrainé par György Spiro, le premier auteur
hongrois du renouveau avec sa pièce emblématique Tête
de poulet. Les discussions
allaient bon train sur les spectacles, l’actualité. Et, bien sûr,
le métier d’auteur dramatique : doit-il travailler en
solitaire, en tandem avec un metteur en scène, faire corps avec une
équipe et écrire au fur et à mesure des répétitions, travailler
avec du matériau documentaire… Autant de questions qui traversent
tout autant le théâtre français.
Jean-Pierre
Thibaudat
Conseiller
artistique du Festival Passages (Metz), janvier 2012
Source : Théâtre Nanterre-Amandiers
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