La carrière de la célèbre actrice hongroise Rebeka Weér, inoubliable dans le rôle de Cléopâtre, s’achève brutalement : sa fille Judit, une jeune violoniste au talent exceptionnel, est “passée” à l’Ouest. Nous sommes à la fin des années 1970 et le pouvoir hongrois emploie tous les moyens pour garder au pays les gens de talent. Subissant la pire des pressions, à savoir l’interdit professionnel, l’actrice tente en vain de convaincre sa fille de revenir.
Pour sauver sa carrière, Rebeka Weér déclare finalement sa fille morte, elle met en scène un faux enterrement et envoie des faire-part aux pontes du parti et à leurs sbires culturels. Sa mise à l’écart étant maintenue, l’actrice décide de se cloîtrer chez elle et de ne plus voir personne, sauf son fils, le frère jumeau de Judit, par la force des choses : ils habitent le même appartement et, dans la Hongrie des années 1970, il n’est pas aisé de trouver à se loger. Durant les quinze années qui suivent, alors que tout un système politique s’effondre (1989 : ouverture des frontières ; 1991 : départ des troupes soviétiques…), l’actrice ne quitte pas son appartement et exerce une tyrannie jalouse sur son fils.
C’est lui le narrateur. Il décrit avec précision et humour noir ses tentatives désespérées de fuir la toile paralysante tissée par le malheur et la méchanceté de sa mère. L’amour, la haine, la colère, l’indifférence, l’autodestruction – ses efforts seront multiples et fort variés, jusqu’à l’ultime acte, le plus passif mais le plus efficace de tous…
La force du roman réside dans la plasticité avec laquelle Bartis parvient à créer l’atmosphère oppressante de la vie de cet homme tout en témoignant de l’immense liberté que l’écrivain arrive à s’inventer. Au début, les écrits du jeune homme font partie du système familial de subterfuges et mensonges : pour consoler sa mère, il écrit de la main gauche des lettres inventées que sa soeur aurait envoyées à leur mère lors de ses tournées dans les capitales occidentales. En réalité, la fille n’écrit jamais et finira par se suicider. Mais peu à peu, l’écriture s’élève et on assiste, en même temps qu’au désastre des vies détruites par un système politique inhumain, à l’émergence d’une liberté d’expression prodigieuse. La censure que la mère tente
d’exercer est déjouée, le jeune écrivain s’échappe par la littérature, crée pour ne pas tuer. Comment aimer lorsqu’on est prisonnier du malheur de sa mère, aux sens propre et figuré à la fois ? Après maintes aventures malheureuses, toutes vouées à une sexualité déchaînée, violente et destructrice, le narrateur rencontre Eszter Fehér et ressent, pour la première fois, un sentiment qui ressemble à l’amour. Saura-t-elle le libérer ? En tout cas elle l’épaule, et c’est grâce à elle qu’il devient écrivain.
Même les scènes les plus crues (d’érotisme mais aussi de violence) sont précises, écrites dans un style parfaitement maîtrisé. Ce qui surprend (et Bartis a été comparé à Camus et à Sartre à la fois), c’est l’absence totale de cynisme. Tout en pratiquant l’humour noir, l’auteur reste près de ses personnages, ne les dénonce jamais, évite la facilité.
Grâce à ce roman, Attila Bartis se hisse au rang des grands auteurs d’Europe Centrale, on pense évidemment au jeune Kundera mais aussi aux premiers textes du Polonais Andrzej Stasiuk.
L’AUTEUR
Attila Bartis est né en 1968 à Marosvásárhely (Tîrgu Mure) en Roumanie, une ville peuplée majoritairement de Hongrois. En 1984, il s’installe avec ses parents à Budapest. Son père, journaliste, subissait des pressions et espérait avoir plus de liberté en rejoignant la capitale hongroise. Après des études de photographie, Bartis expose ses photos et reçoit une première bourse dans cette discipline. En 1995, sa première publication, La Promenade (grande nouvelle), est déjà remarquée et traduite en allemand chez Suhrkamp. Ensuite, il publie un recueil de nouvelles et, en 2001, son premier grand roman La Tranquillité, pour lequel il a reçu le prix Sándor Márai en 2002.
Il vit actuellement à Budapest, en tant que photographe et écrivain.
Traduit en allemand à l’automne de l’année 2005, La Tranquillité (son premier livre traduit en français) a été élu meilleur roman en janvier 2006 sur la liste mensuelle établie par trente critiques littéraires.
A Nyugalom, traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba.
320 pages. Prix : 21 €
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