Paris, le 7 janvier 2008
Jean-Pierre Frommer
Président de l'Association
des Mardis hongrois de Paris
à
Monsieur László Sólyom
Président de la République de Hongrie
Köztársasági Elnöki Hivatal,
Sándor Palota,
1014. Budapest Szent György tér 1.
Hongrie
Objet : Lettre ouverte à propos de la situation dans le quartier juif de Budapest
P.J. Une pétition
Monsieur le Président,
Je vous écris cette lettre en tant que président de l'Association des Mardis hongrois de Paris, association dont l'un des buts est de défendre et de promouvoir la culture hongroise à Paris. Nous sommes persuadés que cette culture est d'une richesse extraordinaire, qu'elle a apporté et qu'elle continue d'apporter une contribution non négligeable à la culture mondiale. C'est pourquoi nous essayons, à notre faible mesure, d'en assurer le rayonnement à Paris et en France. En témoignent par exemple quelques évènements récents à Paris comme la soirée « Hommage à Sándor Ferenczi » que mon association a organisée aux côtés de psychanalystes et qui a réuni environ 200 personnes et aussi le très beau festival de littérature hongroise.
J'en viens donc à la raison de mon courrier.
Nous suivons depuis maintenant quelques années avec beaucoup de tristesse, de stupéfaction et parfois de colère ce qui se passe dans le « quartier juif » de Budapest. Ce qui se déroule là-bas n'est pas digne d'un pays moderne et civilisé. Ce que la guerre, le nazisme et le stalinisme n'ont pas réussi à détruire est en train de disparaître sous nos yeux. Il s'agit de pans entiers de l'architecture et de l'urbanisme du 19ème et du début du 20ème siècle qui partent en poussière. Il s'agit de tout un tissu urbain historique, social, culturel, cultuel qui est dénaturé, abattu, perdu à tout jamais.
Il s'agit d'un patrimoine unique au monde d'une très grande richesse dont apparemment les décideurs hongrois ne mesurent absolument pas la valeur culturelle et économique. Je ne peux expliquer autrement le train de démolitions qui va en s'accélérant.
Ma virulence vous paraîtra peut-être exagérée, m'adressant aux plus hautes autorités politiques de votre pays, mais elle est à la mesure du scandale et je ne peux comprendre que la Hongrie laisse ainsi disparaître ce qui n'appartient pas seulement aux Hongrois mais à l'humanité entière. Il s'agit d'un patrimoine mondial, même si une partie seulement du secteur concerné est inscrit au Patrimoine de l'UNESCO. Nous ne pouvons aujourd'hui nous retrancher derrière nos frontières nationales pour dilapider un capital mondial.
Il faut arrêter les dégâts. Je ne fais pas seulement appel à votre sens de la culture mais aussi à votre compréhension des enjeux économiques à long terme.
Inversez les choses, c'est en votre pouvoir : fixez un moratoire sur toute démolition dans le secteur concerné, faites établir un plan de réhabilitation urbain soucieux de la préservation et de la mise en valeur de cet ensemble architectural et urbain que constitue le « quartier juif ».
L'argument communément avancé par les décideurs justifiant ces démolitions est un argument économique. N'y aurait-il pas d'argent pour faire les réhabilitations nécessaires ? Je pense qu'on sacrifie l'intérêt économique à long terme de la collectivité y compris celui des investisseurs, à des bénéfices à très court terme, à courte vue, qui ne profitent qu'à une minorité, sans égards d'ailleurs pour les habitants qui sont chassés de leurs logements. Cet argument mérite d'être donc réexaminé. Ce quartier recèle un potentiel touristique extraordinaire et pourrait constituer un pôle de développement à l'instar d'autres quartiers du même type. Ce qui a été possible par exemple dans le quartier du Marais à Paris ou dans bien d'autres villes européennes ne serait-il pas possible en Hongrie ? La loi Malraux a permis de sauver ce quartier riche en histoire et en architecture par des séries de mesures dont, à ma connaissance, des incitations fiscales. Aujourd'hui le Marais draine une affluence touristique et commerciale parmi les plus importantes de Paris.
Je ne veux pas croire que les Hongrois qui ont donné des Imre et André Kertész, des Attila József, des János von Neumann ou des Ödön Lechner aient moins d'imagination que d'autres peuples.
Au nom des signataires de la pétition, je vous demande d'imaginer d'autres solutions que celle de la destruction systématique d'un patrimoine qui nous est cher.
Il faut de l'argent, certes, mais il est possible de se le procurer, car la réhabilitation est un processus à long terme et les dépenses sont ainsi lissées sur plusieurs années (quelle que soit la réhabilitation, elle ne peut se réaliser qu'à moyen ou long terme) et il faut surtout une volonté politique.
La décentralisation de l'urbanisme a donné semble-t-il trop de pouvoir aux maires d'arrondissement. Dans cette situation, c'est à l'Etat hongrois et à Budapest-capitale de mettre les garde-fous qui protègent l'intérêt national et le patrimoine mondial. Cette volonté politique pourrait se manifester par une réglementation stricte adaptée à la nature de patrimoine mondial du secteur.
En tant qu'Association des Mardis hongrois de Paris, nous avons fait signer une pétition au Directeur du Patrimoine de l'UNESCO que je vous adresse ci-jointe. Vous pourrez y voir les noms de personnalités importantes de la culture, des arts et lettres, des experts de l'aménagement, de l'architecture et du patrimoine, des personnalités politiques, des scientifiques, des avocats éminents, mais aussi de simples particuliers comme moi qui ne comprennent pas. Cette pétition a recueilli à ce jour 313 signatures. Nous continuerons à agir pour mobiliser l'opinion publique jusqu'à ce que des mesures significatives soient prises parce que nous ne pouvons rester indifférents à ce gaspillage.
Suite à l'action de l'association Ovás! relayée par celle des Mardis hongrois de Paris, une mission d'expertise de l'UNESCO-ICOMOS s'est rendue du 5 au 7 novembre 2007 à Budapest pour faire un diagnostic sur la situation au regard de la conservation du Patrimoine mondial. Nous souhaiterions avoir connaissance de ce rapport d'expertise.
En espérant que notre requête rencontre votre attention et une prise de conscience des enjeux liés à ces destructions,
Je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'assurance de ma considération respectueuse.
Jean-Pierre Frommer
Président de l'Association
des Mardis hongrois de Paris
Le même courrier est adressé simultanément à Monsieur Ferenc Gyurcsány, Premier Ministre de la République hongroise et à Monsieur Gábor Demszky, Maire de Budapest.
mercredi 9 janvier 2008
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