La
mémoire est un travail, dit Boris Cyrulnik. Cette phrase est la
confirmation de ce que je ressentais depuis si longtemps. Quelques
heures de plongée archéologique de la sorte et je me sens épuisée comme
si je remontais du fond de la mine (du moins c'est ainsi que j'imagine
la remontée)... Je puise dans mes entrailles, je gratte, j'érafle, je
creuse... Ma tête est dans un étau. A quoi sert cette torture ?
L'expression « ça me prend la tête » acquiert toute sa signification. De
temps à autre, je fais cette descente dans les profondeurs de la
mémoire, au lieu de me promener au soleil si rare, si hasardeux, pour me
sentir mieux après. Bien mieux, assurément.
Les
souvenirs, bons ou mauvais, sont bienfaisants car ils permettent de
comprendre le présent. D'où viennent nos réactions parfois insondables
devant les évènements de notre vie ? En creusant, à la recherche d'un
épisode, porteur d'émotion similaire, nous arrivons à mettre le doigt
sur l'explication qui nous mènera vers l'apaisement.
Le
rôle de la langue m'occupe depuis longtemps. Le Verbe créateur qui fait
exister les choses et les êtres en les nommant, ainsi que les émotions
qu'ils provoquent. Est-ce que cela se passe pareillement dans des
langues différentes ?
Si je dis "görögdinnye",
je vois le porte-bagage de la bicyclette de mon père avec l'énorme
globe vert foncé qu'il détache triomphalement pour nous l'offrir... Si
je dis "pastèque", c'est le goût insipide des tentatives décevantes dans le nord de la France qui m'envahit le palais... Et si je prononce "karpuz",
ce sont les camionnettes bariolées chargées de grosses boules rayées
qui sillonnent les rues d’Istanbul jusqu'aux premiers gels que je revois
dans mes souvenirs... Le russe "арбуз" (arbouz)
n'évoque que l'école où j'apprends le vocabulaire car dans le Moscou des
années 60-70, elle est introuvable. Les langues m'aident à explorer les
multiples facettes de mes souvenirs ; de moi-même, au fond...
Multicolores,
modestes cailloux ou pierres précieuses, il faut les recréer à chaque
fois, inlassablement, pour qu'ils existent. Je cherche au fond de la
carrière les pierres qui ont construit la bâtisse que je suis devenue.
Est-ce un pavillon coquet ou un modeste cabanon, ce n'est pas mon regard
qui peut en décider. Ce qui compte pour moi, c'est son intérieur qui
doit m'abriter, où je me sens en paix avec moi-même.
Flora
Le blog de Flora en français
Flora magyar blogja
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