dimanche 17 février 2013

Entre "pastèque" et "görögdinnye"... par Flora

La mémoire est un travail, dit Boris Cyrulnik. Cette phrase est la confirmation de ce que je ressentais depuis si longtemps. Quelques heures de plongée archéologique de la sorte et je me sens épuisée comme si je remontais du fond de la mine (du moins c'est ainsi que j'imagine la remontée)... Je puise dans mes entrailles, je gratte, j'érafle, je creuse... Ma tête est dans un étau. A quoi sert cette torture ? L'expression « ça me prend la tête » acquiert toute sa signification. De temps à autre, je fais cette descente dans les profondeurs de la mémoire, au lieu de me promener au soleil si rare, si hasardeux, pour me sentir mieux après. Bien mieux, assurément.
Les souvenirs, bons ou mauvais, sont bienfaisants car ils permettent de comprendre le présent. D'où viennent nos réactions parfois insondables devant les évènements de notre vie ? En creusant, à la recherche d'un épisode, porteur d'émotion similaire, nous arrivons à mettre le doigt sur l'explication qui nous mènera vers l'apaisement.
Le rôle de la langue m'occupe depuis longtemps. Le Verbe créateur qui fait exister les choses et les êtres en les nommant, ainsi que les émotions qu'ils provoquent. Est-ce que cela se passe pareillement dans des langues différentes ?
Si je dis "görögdinnye", je vois le porte-bagage de la bicyclette de mon père avec l'énorme globe vert foncé qu'il détache triomphalement pour nous l'offrir... Si je dis  "pastèque", c'est le goût insipide des tentatives décevantes dans le nord de la France qui m'envahit le palais... Et si je prononce "karpuz", ce sont les camionnettes bariolées chargées de grosses boules rayées qui sillonnent les rues d’Istanbul jusqu'aux premiers gels que je revois dans mes souvenirs... Le russe  "арбуз" (arbouz)  n'évoque que l'école où j'apprends le vocabulaire car dans le Moscou des années 60-70, elle est introuvable. Les langues m'aident à explorer les multiples facettes de mes souvenirs ; de moi-même, au fond...
Multicolores, modestes cailloux ou pierres précieuses, il faut les recréer à chaque fois, inlassablement, pour qu'ils existent. Je cherche au fond de la carrière les pierres qui ont construit la bâtisse que je suis devenue. Est-ce un pavillon coquet ou un modeste cabanon, ce n'est pas mon regard qui peut en décider. Ce qui compte pour moi, c'est son intérieur qui doit m'abriter, où je me sens en paix avec moi-même.
Flora

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