L’édito de Liberation
du 3 juin intitulé « Populisme en Europe de l’Est : c’est davantage
qu’une crise d’adolescence » signé de Jean Quatremer reflète un courant
de pensée répandu, que je trouve inquiétant parce qu’il conduit l’Europe
dans une mauvaise direction.
En premier lieu, affirmer que
l’élargissement de l’Europe est un échec suppose de savoir ce qui aurait
dû se passer pour qu’il fût un succès. Le rattrapage économique en est
effectivement un, même s’il reste encore beaucoup à faire. Mais le reste
en est aussi un. L’ancrage démocratique est bel et bien là, il n’a pas
été un feu de paille, et ce ne sont pas les expressions vides de sens de
« vieux démons » de « dérive autoritaire », d’ « ultranationalisme »
(sic) ou de « remise en cause des libertés publiques » (lesquelles ?)
qui invalideront ce constat. Affirmer que ces pays n’ont qu’une «
relation purement utilitariste à l’Union » témoigne d’une bien mauvaise
connaissance de leur histoire récente, de leur état d’esprit, de leurs
sentiments profonds, des dispositions dans lesquelles ils ont adhéré à
l’Union européenne, ainsi que d’une ignorance du mécanisme des fonds de
cohésion – qui sont tout sauf une aumône octroyée à des nécessiteux en
échange de leur silence ou de leur acquiescement.
En second lieu,
diviser l’Europe en deux sur la base du critère du « populisme » me
semble bien hasardeux. Ne serait-ce qu’en raison du flou plus
qu’artistique qui entoure la définition de ce terme. Il est comme
l’Arlésienne ou le furet de la chanson : tout le monde en parle, mais
personne ne l’a vu. Tout ce que l’on en sait, c’est qu’il doit être très
péjoratif, puisqu’il est invoqué chaque fois que l’on souhaite flétrir
quelqu’un. Un peu comme « l’impérialisme américain » ou le « fascisme »
dans la propagande soviétique. Il est en quelque sorte le véhicule du
discours d’exclusion. Et si « les populismes existent aussi à l’Ouest »,
pourquoi seraient-ils le signe d’un échec de l’élargissement de
l’Europe ?
Non, l’élargissement de l’Europe n’est pas un échec.
C’est l’immense succès de ce début du 21ème siècle. C’est l’absence
d’élargissement qui aurait été un épouvantable échec. L’Europe est enfin
institutionnellement unifiée, « dans la diversité », comme le proclame
le Traité lui-même. L’Union à 28 n’est plus le Marché commun à 6. Cette
diversité, qui comporte des avantages et des inconvénients, doit être
respectée et gérée. C’est cela, la démocratie. Les choix politiques ne
doivent pas être confondus avec le respect des règles de la démocratie.
Je défie quiconque de démontrer que la Hongrie n’est pas un Etat de
droit. Les ajustements nécessaires dans ce domaine ont toujours été
effectués, et le seront, dans le respect absolu des procédures
communautaires. Les amabilités ci-dessus, auxquelles s’en ajoutent
quelques autres : « souverainisme europhobe », « démocratie sous
contrôle », « société autoritaire et ethniquement pure », sans oublier
le rappel de service aux « années 30 et aux discours antisémites »
éternellement rabâchés, sont des appréciations politiques qui doivent
être traitées comme telles. Leur emploi ne relève pas du souci de l’Etat
de droit, mais de la volonté de stigmatiser qui ne pense pas comme soi.
C’est une attitude que nous estimons profondément antieuropéenne. Le
meilleur exemple de la confusion mentale qui règne dans ce domaine est
le prétexte pris du « nouveau mur érigé en Europe pour stopper les
migrants et réfugiés musulmans » par l’incorrigible Orbán, pour
démontrer à quel point la Hongrie « piétine l’Etat de droit » : hélas,
l’érection de ce « mur » démontre exactement le contraire puisqu’elle ne
fait que traduire l’exécution par la Hongrie de ses obligations au
titre des conventions européennes dont elle est signataire, en
l’occurrence celle de Schengen. Aujourd’hui, tous les Etats sont appelés
à en faire autant, s’il le faut sur fonds européens. L’Etat de droit,
c’est d’abord le respect des règles existantes ; l’attitude à adopter
face au phénomène migratoire est une autre chose, c’est un choix
politique qui n’a rien à voir avec l’Etat de droit. Reconnaître que dans
une Union à 28 tout le monde ne sera pas toujours d’accord sur tout ne
me semble menacer en rien la cohésion de l’Europe, et représente même, à
nos yeux, une condition de sa force. C’est autour de cette idée qu’il
faut repenser l’Europe. Dans un environnement démocratiquement structuré
comme l’est l’Union européenne, la moindre des choses, au titre des
valeurs démocratiques, est de reconnaître la validité de la position
politique de l’autre, tant à l’intérieur que face à l’extérieur.
«
Varsovie, Zagreb, Bratislava, Budapest, Prague… » : est-il possible que
tant de pays – non seulement leurs gouvernements, mais aussi leur
électorat – se trompent tous ensemble, en même temps et sur les mêmes
sujets ? A moins de considérer que dans une démocratie parfaite c’est
l’opposition qui doit gouverner. Hélas, nous n’en sommes pas encore là…
Ce qui est inquiétant, c’est que l’essai de Jean Quatremer part du
postulat (je rappelle que le postulat est une règle que l’on doit
admettre sans qu’il soit nécessaire de la démontrer) que les seuls
dépositaires de la vérité européenne sont les pays d’Europe occidentale.
Les autres ne sont que des arrivants tardifs, plus ou moins tolérés,
des adolescents attardés dont on attend qu’ils virent leur cuti au plus
vite. Et s’ils n’obtempèrent pas, il faudra évidemment les punir. Cette
attitude profondément condescendante témoigne d’une incompréhension
grave de l’Europe d’aujourd’hui, porteuse d’inquiétude quant au discours
à venir sur l’Europe. Si les pays de l’Europe de l’Est n’ont rejoint
l’Union que tardivement, ce n’est certainement pas de leur volonté, les
Hongrois en ont donné la preuve en 1956. Il est normal et légitime
qu’ils souhaitent aujourd’hui mettre sur la table de l’Europe leur
propre vision de l’Union, qui n’est pas forcément en tous points celle
des autres. C’est une lourde erreur d’y voir une « crise »,
d’adolescence ou pas. C’est en confrontant les opinions que l’on
avancera. Pas en succombant au complexe de supériorité. Il est
d’ailleurs curieux que les mêmes qui s’indignent d’entendre que la
religion musulmane n’est pas compatible avec la civilisation occidentale
semblent penser que les pays d’Europe de l’Est, tout compte fait, ne
sont peut-être pas vraiment compatibles avec les démocraties
occidentales… Ce n’est pas l’Etat de droit qui est fragile en Europe,
mais le taux d’acceptation du caractère démocratique de l’Union. Les
démocraties occidentales – ou plus précisément l’idée que certains s’en
font – n’ont pas le monopole de l’Europe. C’est une des conséquences de
l’élargissement, et pour notre part nous nous en réjouissons.
Source : Page Facebook de l'Ambassade de Hongrie à Paris
lundi 6 juin 2016
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