lundi 10 mai 2010

Le quartier juif de Budapest s'efforce de conserver son âme : un article paru dans La Croix

Les projets de rénovation immobilière mettent en danger le quartier juif. Une association tente de faire classer les bâtiments, alors que l’endroit attire de plus en plus de touristes.

Sur un des murs extérieurs de la grande synagogue de Budapest, une plaque signale : « Ici se trouvait la maison natale de Theodor Herzl. » Journaliste et écrivain juif, il fut le fondateur du mouvement sioniste. Il est donc né ici, au centre de Budapest, le 2 mai 1860, à quelques mètres de la plus grande synagogue d’Europe, qui attire aujourd’hui de nombreux touristes. Mais, en dehors de cette plaque, il se trouve peu de témoignages de l’enfance hongroise de l’auteur de L’État juif. Il faut dire que Theodor Herzl a ensuite étudié à Vienne, puis écrit ses livres en allemand.
Derrière la synagogue, toutefois, un passage porte son nom. Mais il est en ce moment fermé, vide, entouré de bâches de chantier. Tout le passage doit subir une rénovation qui est en même temps une très juteuse opération immobilière, conduite par un groupe immobilier espagnol. Une pancarte accrochée à la façade invite à s’inscrire pour acheter un des futurs « appartements de luxe » qui trouveront bientôt place ici. Le sol doit être creusé pour créer des parkings. Les jardins intérieurs doivent disparaître pour laisser place à des boutiques. Le nombre d’étages doit augmenter. Et ce qui était un passage à l’atmosphère typique du quartier juif de Budapest doit désormais laisser la place à des cages d’escaliers avec ascenseurs et digicodes.
Tout le quartier autour de la grande synagogue de Budapest fait ainsi l’objet d’une multitude de projets immobiliers. Dans le quartier juif de Budapest. L’association Ovas se bat pour conserver l’âme de ces lieux face aux projets immobiliers.
Tout le quartier autour de la grande synagogue de Budapest fait ainsi l’objet d’une multitude de projets immobiliers. La crise économique qui a durement frappé la Hongrie en a gelé un certain nombre. Les chantiers sont à l’arrêt. Des immeubles entiers, déjà terminés, sont vides. Les pancartes annonçant « Kiado » (à louer) ou « Elado » (à vendre) sont partout. Mais les promoteurs n’attendent qu’un frémissement du marché pour reprendre les travaux.
Face à ces projets, des artistes, des architectes, des intellectuels se mobilisent pour tenter de préserver le patrimoine architectural exceptionnel de ces quelques dizaines de rues. Regroupés au sein de l’association Ovas, un terme qui signifie à la fois « protection » et « protestation », ils constatent toute la difficulté à sensibiliser les autorités municipales. « Des dizaines de maisons ont été vendues et vidées de leurs habitants. Les contrats précisent que si les habitants partent, l’immeuble peut être démoli. En principe, les habitants actuels auraient le droit de rester. Mais personne ne les informe. La mairie ne programme aucuns travaux. Les immeubles se dégradent, et l’on pousse les gens au départ… », regrette Anna Perczel, urbaniste et présidente de l’association Ovas. L’association a lancé des pétitions, organisé des visites, sensibilisé l’Unesco.
Anna nous conduit dans le dédale des cours qui communiquent, nous montre les bains rituels, le marché, et les trois synagogues, dont l’une, dans le style Art nouveau, abrite aujourd’hui une communauté juive ultra-orthodoxe. Durant la guerre, le quartier fut transformé en ghetto. À l’époque, il a échappé aux destructions. Fait de jardins installés dans le moindre recoin, de galeries courant le long des façades, l’endroit conserve une ambiance particulière. « Et tout cela doit disparaître pour laisser place à des parkings… », s’agace l’urbaniste.
Aujourd’hui, la Hongrie reste mal à l’aise avec son passé juif. Au cours de la récente campagne électorale, on a vu refleurir des attaques antisémites. L’extrême droite a fait un score de 17 %, guidée par un jeune chef, Vona Gabor, qui se vantait à chacun de ses meetings de « ne pas avoir de rabbin parmi ses amis ». La Hongrie, durant la Seconde Guerre mondiale, était dirigée par le régent Horthy qui avait choisi de soutenir l’Allemagne nazie. Puis, à la toute fin de la guerre, un parti nazi hongrois, les Croix fléchées, a déposé Horthy et organisé la déportation massive des juifs hongrois, avec l’aide des nazis. Cette histoire reste mal connue des Hongrois. « Nous n’avons jamais appris la véritable histoire de notre pays à l’école, constate l’écrivain et documentariste juif hongrois Andras Kepes. Toute la présentation du passé était faite selon le prisme de l’idéologie, ce qui fait que les Hongrois ont tous une vision différente de ces événements, selon leur histoire familiale. » Ovas refuse pourtant de lier son combat à celui contre le retour de l’antisémitisme. « Nous agissons d’abord au nom de la préservation du patrimoine », précise Anna Perczel, elle aussi juive hongroise. Mais cette idée semble encore une notion nouvelle en Hongrie. L’association est donc toujours engagée dans une course de vitesse avec les promoteurs. Elle a obtenu le gel de quelques projets après le classement d’immeubles. Une fois classé, un immeuble ne peut plus être démoli et doit être rénové. Des cafés alternatifs se sont installés dans ces immeubles à l’abandon où les travaux sont devenus impossibles. Le quartier retrouve un peu de son caractère bohème.
Pourtant, ce n’est pas l’association qui a porté le coup le plus dur à la spéculation immobilière. Au 15 de la rue Kiraly, l’artère principale du quartier, s’élève un immeuble en piteux état, mais dont les vastes cages d’escalier témoignent d’un riche passé. C’est là que la bataille principale a eu lieu. Parmi les occupants de l’immeuble se trouve un avocat. Il n’a pas voulu quitter son appartement, comme l’ont fait de nombreux habitants, poussés au départ. Il a pu démontrer une série de malversations auxquelles le maire du 7e arrondissement de Budapest était mêlé. Il est apparu que de nombreux immeubles démolis avaient été vendus à bas prix à des sociétés contrôlées par des proches du maire. L’élu est aujourd’hui en prison et attend d’être jugé pour détournement de fonds. Mais le plan général de rénovation du quartier n’a pas été remis en question.
Le hasard fait de cet immeuble un endroit symbolique pour une tout autre raison. Au fond de la cour s’élève un mur de brique. C’est le dernier pan de mur du ghetto encore debout. Or, au plus fort de la frénésie de travaux, ce pan de mur fut démoli, il y a un an. Puis, devant le scandale soulevé par cette destruction, ce pan de mur a dû être reconstruit à l’identique. Une plaque y a désormais été placée. Et l’endroit est devenu un lieu de mémoire.
Le bon côté de ces scandales immobiliers à répétition, c’est qu’ils ont attiré l’attention sur ce quartier, autrefois délaissé. Les Hongrois, mais aussi les touristes étrangers s’y intéressent. Des livres paraissent, des restaurants juifs ouvrent. De nombreux descendants de familles juives hongroises viennent flâner dans ces rues, à la recherche de ce qui fut l’ambiance d’avant-guerre, à l’époque où les juifs hongrois formaient une communauté riche, puissante et bien intégrée, avant que le ciel ne leur tombe sur la tête. Cet afflux de touristes est peut-être ce qui contribuera le plus à sauver le quartier.
ALAIN GUILLEMOLES

REPERES
Les juifs hongrois
* Situé dans le 7e arrondissement de Budapest, près de l’Opéra, le quartier juif de Budapest s’est développé au XVIIIe siècle, après que l’édit de tolérance de Joseph II, en 1783, eut donné le droit aux juifs de s’installer à l’intérieur des murs de la ville.
* Durant la Seconde Guerre mondiale, 70 000 juifs ont été détenus dans ce quartier, devenu un ghetto. Six cent mille juifs hongrois sont morts en déportation.
* La grande synagogue de la rue Dohany peut accueillir 3 000 personnes. Elle a été réalisée au XIXe siècle. Elle est l’oeuvre de l’architecte viennois Ludwig Forster et surprend par son inspiration à la fois maure et byzantine.
* La communauté juive de Hongrie demeure une des plus importante d’Europe, forte de 50 000 à 150 000 personnes, selon les estimations.
Article paru dans le quotidien La Croix daté du 30 avril 2010
Publié avec l'aimable autorisation d'Alain Guillemoles

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