Eglise de Nagypirit, vieille aquarelle de 1961, par R. T. |
Parmi mes premiers souvenirs d’enfant ressurgit la pénombre apaisante de l’étable, ma grand-mère assise
sur une sellette, éclairée par une lampe à pétrole. Elle serre un seau
entre les genoux, la tête appuyée contre le flanc de notre unique vache.
Avec des gestes précis et rapides, elle tire sur les pis et
manifestement, la vache s'en trouve soulagée. Je regarde les jets
vigoureux qui remplissent le récipient, avec un bruit court et dru. Des
bulles éclatent à la surface blanche et une odeur dont tout le monde
raffole, sauf moi, me soulève le cœur...
Des
années plus tard, nous n'avions plus de vache mais mes histoires
d'amour se sont renouées avec le pacifique ruminant pendant mes vacances
chez mes grands-parents maternels, à l'autre bout du pays.
Oui,
à l'autre bout, même si, à l'aune de la Hongrie, cet autre bout n'est
qu'à 400 km... J'avais l'impression de vivre des aventures exotiques,
extraordinaires, baignant dans l'immensité affective de mes
grands-parents, oncles et tantes, en grande liberté. Signe de confiance
suprême, ma tante m'a confié leur vache que j'accompagnais à la pâture
communale, tous les jours, me levant avec le soleil. Nous étions tout un
groupe d'enfants et d'adolescents à garder notre troupeau, et tandis
qu'un de nous surveillait les bêtes, les autres discutaient ou jouaient
aux cartes. Vers midi, j'exhumais de mon sac à dos les tartines
gigantesques de ma tante, au saindoux saupoudré de paprika écarlate et
au saucisson maison. Vers cinq heures, les vaches repartaient vers les
maisons qui les attendaient, les portails grands ouverts. Chaque vache
trouvait le sien, sans aucune aide.
Pendant
des années, j'avais rendez-vous avec ce plaisir pour moi exotique. Je
vivais pied nu, presque tout l'été. J'aimais le contact tiède ou brûlant
du sol sablonneux, tout comme celui de l'herbe fraîche de la pâture...
Parfois,
je gardais la vache de ma tante toute seule. Alors, ces heures de
tête-à-tête avec l'animal paisible me procuraient un sentiment de grande
sérénité. J'observais ses grands yeux mélancoliques, son application
incessante à brouter l'herbe qu'elle arrachait avec un craquement sec.
Elle avançait lentement, consciencieusement, sans s'arrêter, sans même
lever la tête, se contentant de chasser les mouches, d'un coup de queue
nonchalant.
Son
calme inébranlable m'a inspiré un infini apaisement. Jamais de caprice,
de revendication hargneuse, pas d'agressivité sournoise à craindre.
Elle broutait toute la journée : c'était son travail et elle
l'accomplissait avec une grande sérénité. Je marchais à ses côtés, à son
rythme, en laissant mes pensées vagabonder en liberté...
Rózsa Tatár
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