lundi 13 avril 2015

Histoire de vaches par Flora

Eglise de Nagypirit, vieille aquarelle de 1961, par R. T.
Parmi mes premiers souvenirs d’enfant ressurgit la pénombre apaisante de l’étable, ma grand-mère assise sur une sellette, éclairée par une lampe à pétrole. Elle serre un seau entre les genoux, la tête appuyée contre le flanc de notre unique vache. Avec des gestes précis et rapides, elle tire sur les pis et manifestement, la vache s'en trouve soulagée. Je regarde les jets vigoureux qui remplissent le récipient, avec un bruit court et dru. Des bulles éclatent à la surface blanche et une odeur dont tout le monde raffole, sauf moi, me soulève le cœur...
Des années plus tard, nous n'avions plus de vache mais mes histoires d'amour se sont renouées avec le pacifique ruminant pendant mes vacances chez mes grands-parents maternels, à l'autre bout du pays.
Oui, à l'autre bout, même si, à l'aune de la Hongrie, cet autre bout n'est qu'à 400 km... J'avais l'impression de vivre des aventures exotiques, extraordinaires, baignant dans l'immensité affective de mes grands-parents, oncles et tantes, en grande liberté. Signe de confiance suprême, ma tante m'a confié leur vache que j'accompagnais à la pâture communale, tous les jours, me levant avec le soleil. Nous étions tout un groupe d'enfants et d'adolescents à garder notre troupeau, et tandis qu'un de nous surveillait les bêtes, les autres discutaient ou jouaient aux cartes. Vers midi, j'exhumais de mon sac à dos les tartines gigantesques de ma tante, au saindoux saupoudré de paprika écarlate et au saucisson maison. Vers cinq heures, les vaches repartaient vers les maisons qui les attendaient, les portails grands ouverts. Chaque vache trouvait le sien, sans aucune aide.
Pendant des années, j'avais rendez-vous avec ce plaisir pour moi exotique. Je vivais pied nu, presque tout l'été. J'aimais le contact tiède ou brûlant du sol sablonneux, tout comme celui de l'herbe fraîche de la pâture...
Parfois, je gardais la vache de ma tante toute seule. Alors, ces heures de tête-à-tête avec l'animal paisible me procuraient un sentiment de grande sérénité. J'observais ses grands yeux mélancoliques, son application incessante à brouter l'herbe qu'elle arrachait avec un craquement sec. Elle avançait lentement, consciencieusement, sans s'arrêter, sans même lever la tête, se contentant de chasser les mouches, d'un coup de queue nonchalant.
Son calme inébranlable m'a inspiré un infini apaisement. Jamais de caprice, de revendication hargneuse, pas d'agressivité sournoise à craindre. Elle broutait toute la journée : c'était son travail et elle l'accomplissait avec une grande sérénité. Je marchais à ses côtés, à son rythme, en laissant mes pensées vagabonder en liberté...
Rózsa Tatár
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