samedi 9 juin 2012

ENTRE DEUX CHAISES par Flora

A chaque fois que je franchis la passerelle entre mon pays natal et mon pays d'adoption, autant dire ma jeunesse et l'âge mûr, c'est cette curieuse sensation déstabilisante qui m'envahit. Entre deux chaises... Je m'arrache d'un état pour tenter de me fondre dans un autre, pour un temps, et de recommencer le mouvement aussitôt... On dirait qu'avec le temps qui passe, ce mouvement de balancier donne de plus en plus le vertige. Parfois, on voudrait que le roulis s'arrête ; on voudrait descendre...
Il faudrait que je sois plus imperméable aux sensations mais j'ai toujours eu envie de les vivre à fond, de me les approprier, et le monde à travers elles... Cette intensité fait appel aux émotions fortes qui réapparaissent à chaque fois, intactes. Toujours ce sentiment aigu de la fugacité de la vie, de ce fragment unique qui ne repassera plus jamais !
Les éléments du décor de notre enfance, de notre jeunesse s'effondrent un par un : les remparts de notre éternité ! Grands-parents, parents, oncles et tantes disparaissent pour se métamorphoser en fantômes qui hantent notre mémoire. La visite chez ma tante à deux doigts de la mort, me ramène dans le passé à une vitesse sidérale. Longtemps, je passais mes vacances d'été chez elle, à l'autre bout du pays. La revoir ressuscite les sensations de mon adolescence. Sensations puissantes et légères à la fois : être aux portes du monde. Tout est à découvrir, je m'imprègne des parfums de l'été, de la fraîcheur du matin qui les exalte, de la douceur du soir qui les réveille après la fournaise du jour. Je garde leur vache toute la journée et cette occupation pour moi exotique me procure un profond sentiment de sérénité : vivre au rythme de la nature... Curieuse impression : la vache, imperturbable, broute toute la journée dans la pâture, me laissant en paix avec mes livres et les tartines démesurées de ma tante ; le soir, guidée par un instinct infaillible, elle retrouve toute seule la porte ouverte de la maison. Les choses suivent leur cours, tranquillement, inexorablement, et rien n'est ennuyeux dans ces vacances bucoliques, sans télé. Tout reste imprégné dans les briques qui m'ont construite, à la manière des fossiles dans leur prison d'ambre...
Flora

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