A
chaque fois que je franchis la passerelle entre mon pays natal et mon
pays d'adoption, autant dire ma jeunesse et l'âge mûr, c'est cette
curieuse sensation déstabilisante qui m'envahit. Entre deux chaises...
Je m'arrache d'un état pour tenter de me fondre dans un autre, pour un
temps, et de recommencer le mouvement aussitôt... On dirait qu'avec le
temps qui passe, ce mouvement de balancier donne de plus en plus le
vertige. Parfois, on voudrait que le roulis s'arrête ; on voudrait descendre...
Il
faudrait que je sois plus imperméable aux sensations mais j'ai toujours
eu envie de les vivre à fond, de me les approprier, et le monde à
travers elles... Cette intensité fait appel aux émotions fortes qui
réapparaissent à chaque fois, intactes. Toujours ce sentiment aigu de la
fugacité de la vie, de ce fragment unique qui ne repassera plus jamais !
Les
éléments du décor de notre enfance, de notre jeunesse s'effondrent un
par un : les remparts de notre éternité ! Grands-parents, parents,
oncles et tantes disparaissent pour se métamorphoser en fantômes qui
hantent notre mémoire. La visite chez ma tante à deux doigts de la mort,
me ramène dans le passé à une vitesse sidérale. Longtemps, je passais
mes vacances d'été chez elle, à l'autre bout du pays. La revoir
ressuscite les sensations de mon adolescence. Sensations puissantes et
légères à la fois : être aux portes du monde. Tout est à découvrir, je
m'imprègne des parfums de l'été, de la fraîcheur du matin qui les
exalte, de la douceur du soir qui les réveille après la fournaise du
jour. Je garde leur vache toute la journée et cette occupation pour moi
exotique me procure un profond sentiment de sérénité : vivre au rythme
de la nature... Curieuse impression : la vache, imperturbable, broute
toute la journée dans la pâture, me laissant en paix avec mes livres et
les tartines démesurées de ma tante ; le soir, guidée par un instinct
infaillible, elle retrouve toute seule la porte ouverte de la maison.
Les choses suivent leur cours, tranquillement, inexorablement, et rien
n'est ennuyeux dans ces vacances bucoliques, sans télé. Tout reste
imprégné dans les briques qui m'ont construite, à la manière des
fossiles dans leur prison d'ambre...
Flora
Le blog de Flora en français
Flora magyar blogja
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