Véronique Charaire, de son nom hongrois Veronika Kovács, est décédée. Elle n'a pas attendu l'année 2010, le 30 décembre elle s'est éloignée de la ville de son cœur, de Paris, où elle a vécu pendant soixante ans au service de la littérature, du théâtre et des arts. Elle a été enterrée le 6 janvier au cimetière du Montparnasse, où elle souhaitait reposer.
Elle fut élevée en tant que fille unique d'un avocat célèbre et fortuné, choyée, avec gouvernante, voyages à l'étranger, apprentissage de langues étrangères, fréquentation des théâtres et des livres. Elle a développé sa curiosité intellectuelle et artistique au lycée luthérien de Budapest, c'est là qu'elle a posé les fondations de sa culture. Cette vie prit fin avec la seconde Guerre mondiale. Quand son père - ses clients étaient des sociétés occidentales – fut menacé d'arrestation, Veronika Kovács avec sa famille a quitté la Hongrie. Elle se rendit à Vienne. Mais elle ne continua pas de suivre ses parents et grands-parents, comme ils l'auraient attendu de sa part. Au lieu de l'Australie, elle se rendit à Paris. C'est là qu'elle fit connaissance des privations. Elle s'inscrivit à la Sorbonne au cours de littérature, mais rapidement elle déboucha au Cours de théâtre René Simon. Elle gravita pendant dix ans dans le milieu de la bohème théâtrale, en cherchant, en tant qu'artiste, comédienne française, la possibilité de briser les barrières de la civilisation, de la culture, de la langue et de la prononciation. Pendant cette période elle accepta des petits rôles au théâtre du Châtelet, elle sillonna la France en tournée dans différentes pièces. La radio française l'employait aussi régulièrement. En compagnie de son premier mari, le compositeur recherché, chef d'orchestre et pianiste, Lucien Artus elle gravitait dans le cercle montmartrois de Léo Ferré et Francis Lemarque.
Elle s'empressait d'oublier complètement la Hongrie - où la guerre et la prise de pouvoir communiste avaient balayé la fortune familiale et dont il fallait s'exiler. La Révolution de 1956 a rendu Véronique à la Hongrie.
Dans un souvenir manuscrit, elle écrit qu'elle aussi était là, lorsqu'en présence d'Arthur Koestler, un ami de son père, Albert Camus a rédigé sa prise de position en soutien de la Révolution hongroise. Véronika raconte, que c'est alors qu'elle décida de se rendre utile à ses compatriotes, à sa patrie abandonnée. Et c'est ainsi qu'il advint : à partir du début des années soixante, elle consacra pas mal de son énergie, de son cerveau et de sa compétence à faire connaître la littérature hongroise en France, à la cause des relations culturelles franco-hongroises. Mais elle a toujours évité les chemins officiels, elle choisit de donner à ses activités les formes de la société civile.
Elle fit rapidement la connaissance naturellement de László Gara, le rédacteur de l'anthologie de poésie hongroise. László Gara l'a associée elle aussi aux travaux de l'anthologie, Veronika faisait des traductions en son nom propre également et elle préparait aussi des traductions littérales. Par l'intermédiaire de son second mariage et de l'anthologie de poésie hongroise elle pénétra la société des écrivains et poètes français les plus remarquables, où depuis Marcel Arland jusqu'à Witold Gombrowicz depuis Eugène Ionesco jusqu'à Pierre Emmanuel, depuis André Frénaud jusqu'à Jean Follains ou Louis Guilloux elle procura pour elle-même et pour les Hongrois beaucoup de fidèles et de bons amis. Dans ses mémoires déjà évoquées elle raconte modestement qu'en quarante ans elle a transcrit environ vingt cinq livres en français. Parmi ceux-ci il y a trois romans de György Konrad (Les fondateurs de la cité, 1976, Le complice, 1980, Le visiteur, 1991, ), un roman de Frigyes Karinthy, (Capillaria,1976), deux oeuvres de Lajos Grendel, (Que ton règne arrive, L'Age d'Homme, 1999), mais aussi des travaux d'histoire, de sociologie, de beaux arts (István Bibó, Jenő Szűcs, András Bálint Kovács, Gáspár Miklós Tamás, précisément la monographie de Moholy-Nagy écrite par Krisztina Passuth, ou les études de István Kemény). Veronika, en plus du savoir du traducteur, nécessitant attention et patience, mais sans avoir la vraie reconnaissance de son dur labeur, prenait aussi sur elle les devoirs ingrats de l'édition et du placement. Après tout, les traductions en grande partie ne se réalisaient pas sur une commande. Parfois, elle devait travailler en franc-tireur : elle choisissait elle-même l'œuvre, la traduisait, et c'est elle-même qui devait rechercher l'éditeur et le convaincre, sur la base de la traduction, des mérites de l'œuvre et de l'importance de sa parution.
Elle fit la connaissance de Gyula Illyés en 1963, lors de la présentation de l'anthologie de poésie réalisée par Gara au théâtre Kaléidoscope où Veronika disait des poèmes. A partir de la fin des années cinquante, Gyula Illyés n'était pas particulièrement en odeur de sainteté auprès des cercles du pouvoir politique, ses œuvres étaient censurées, ils flairaient du danger dans chacune de ses déclarations et les portes des théâtres budapestois se sont fermées avant la représentation de trois de ses pièces. C'est alors que le second mari de Véronique, le poète, philosophe et directeur de théâtre, Georges Charaire a décidé de porter son drame, « Le favori » à la scène au Vieux-Colombier. Dans la pièce c'est Véronique qui jouait le rôle de Julie. La première eut lieu le 2 novembre 1965, et comme l'écrit Véronique, « le jour de la répétition générale, l'ambassadeur de Hongrie m'a convoqué et m'a notifié que nous n'avions pas le droit de jouer « Le favori », car la censure hongroise l'avait interdit. Je lui ai répondu que nous étions à Paris et que les décisions de la censure hongroise ne s'appliquaient pas à nous. » Six ans plus tard, la pièce reçut l'autorisation d'être jouée en Hongrie au théâtre Madách.
A partir de ce moment là, Veronika et la figure de Georges apparaissent souvent dans les notes du journal intime de mon père et d'autres de ses écrits. Voyages communs, relations communes, cercles de bons amis communs.
Dans les années de la détente, dans la seconde moitié des années soixante à côté de la prise de connaissance et de la popularité de la littérature hongroise, Veronika a créé une fondation, dans le cadre de laquelle elle invitait des artistes hongrois en France, les hébergeait dans l'atelier de son mari, et pendant des semaines par une hospitalité modeste elle a rendu possible à une série d'écrivains et poètes hongrois de faire la connaissance avec des artistes parisiens.
A partir de cette époque elle retournait régulièrement en Hongrie. A l'occasion de visites amicales sans contrainte, ou de rencontres de poètes, lorsqu'ils venaient avec des amis français, ou lorsqu'elle se produisait sur scène pour une soirée littéraire, comme par exemple lors de la présentation intitulée « choix de poèmes de Ronsard à Eluard », ou dans la piécette de Claudel « L'échange ». Ensemble, avec son mari, ils étaient des membres habitués des rencontres du Pen Club, mais Veronika participait aussi à la préparation du film sur les prisonniers de guerre français en Hongrie. A ces occasions elle fit la connaissance avec la fine-fleur de la littérature hongroise, Tibor Déry, Sándor Csoóri, György Somlyó, mais principalement les cinéastes, András Kovács, Károly Makk étaient ses proches. Elle entretenait des relations pas seulement avec des artistes français ou hongrois, mais avec l'émigration intellectuelle hongroise, comme les émigrés en France, Zoltán Szabó, Ferenc Fejtő ou István Csicsery-Rónay.
Veronika était belle. Remarquable, attirant la considération, grande blonde, beauté aux yeux noirs. Elle soignait aussi son apparence. Son attitude était assurée, ses vêtements, sa coiffure, ses ongles, ses chaussures étaient toujours irréprochables. L'attention était cependant tout de suite détournée de la perfection fascinante de son allure par son rayonnement immédiat, son amabilité, sa prévenance, dès qu'elle parlait. On ne pouvait lui demander une aide quelconque qu'elle ne rende avec la plus grande prévenance. Pour ses amis échoués à Paris, son petit appartement de la rue de Sèvres, puis de la rue du Dragon était un refuge, où, dans la forêt vierge des gravures et peintures de Georges, des grands vieux meubles bretons sculptés, des tapis orientaux, des porcelaines, des miroirs et draperies, en compagnie de son énorme chat blanc angora, elle attendait ses invités.
C'était un véritable être social, la femme de mouvement et de désir d'action. A un âge plus avancé, déjà par moments tourmentée par la maladie, elle évoquait parfois – mais toujours sans plainte – que ses amis autour d'elle avaient disparu. La solitude forcée de la dernière partie de sa vie, n'enlève pas que c'est elle qui l'avait décidé. Ce n'est pas parce qu'elle a donné à ses mémoires comme titre « Les mémoires d'une impénitente », qu'aujourd'hui nous serons consolés.
Mária Illyés
Traduit du hongrois par Jean-Pierre Frommer
Le texte hongrois
Voir aussi l'autobiographie de Véronique Charaire sur le site de Georges Charaire
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