Signe d'Air mais aussi de Terre, j'ai beau «vivre avec un collier d'air autour du cou»,
j'ai un besoin constant de m'enraciner dans le sol où le vent m'a
déposée. Comme j'ai souvent changé de sol, cela suppose l'arrachage des
mêmes racines à plus ou moins longue échéance.
La
fin de l'année approche et nous invite à des regards en arrière aux
allures de bilan. Si je récapitule mes déracinements et mes
enracinements ailleurs, c'est le sentiment d'apprivoiser qui fait
surface. Le déchirement laisse sa place à la curiosité de la
découverte. Je ne suis pas - et de loin - une téméraire. J'ai besoin de
gagner mon nouveau terrain de jeu pas à pas, en douceur, la méfiance
esquivée par la main tendue, je fais crédit de ma confiance. Un geste
d'accueil chaleureux en retour (plus rare en Occident) - et le charme
opère. C'est ainsi que le Nord de la France m'a conquise à jamais
lorsque, les cartons du déménagement à peine déposés, les voisins ont
sonné à la porte pour nous proposer leur aide et leur table! Et l'agent
immobilier nous a invités, avec les anciens propriétaires, sur la
terrasse d'un des nombreux cafés de la place d'Armes, devant les
somptueuses façades de l'Hôtel de ville décorées par les sculptures de
Carpeaux, enfant de la ville, pour sceller la transaction par une
bouteille de champagne ! Avouons qu'il y a des débuts moins prometteurs !
Nous arrivions d'Istanbul et nous ne connaissions du Nord que sa
réputation de convivialité. Au bout de vingt-trois ans, je suis toujours
sous le charme.
Bien
sûr, les six années d'Istanbul ont laissé des traces indélébiles d'une
nostalgie toujours à vif. La chaleureuse spontanéité des habitants -
sans pour autant devenir incommodante - m'a donné l'impression d'un bain
effervescent permanent, une serviabilité constante et désintéressée :
juste pour le plaisir d'être aimable ! C'est l'ambiance qui me convient à
merveille, où je me sens comme poisson dans l'eau ! Même la corvée des
courses par les petites boutiques dans les rues pentues aux pavés
défoncés est allégée par le sourire des marchands, le petit geste
d'accueil qui vous donne l'impression d'être entre amis, sinon, en
famille (mon boucher qui voulait même partager son « güveç » du midi :
un plat de viande et de légumes cuit au four). Sans évoquer le Grand
Bazar dont je pourrais raconter des légendes tout à fait personnelles,
incroyables qui se terminent avec les larmes des adieux...
J'évoquerais
les Russes avec leur émotivité débordante, l'Algérie à plusieurs
visages, Berlin-Ouest et les Prussiens distants... La terre a été
parfois aride à mes racines qui préfèrent incontestablement la chaleur
non muselée par la méfiance...
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