Photo n° 3 d’un voyage aux États-Unis, avril 2015 (Brooklyn). |
J’ai bêtement obéi à cette injonction, en ayant lu quantité de livres d’Histoire, depuis la Bible jusqu’à l’étude de Christopher Clark sur l’été 1914 (The Sleepwalkers) et en ayant tout fait pour pouvoir assister (dans un fauteuil d’orchestre) à quelques joyeusetés du XXe siècle. Et si les circonstances ne m’ont pas permis d’être à Hiroshima au bon moment, de vivre in situ la révolution culturelle de Mao, les génocides arménien, biafrais, rwandais ou cambodgien, j’ai pu lire ce qu’il fallait pour cauchemarder à l’aise pendant mes nuits blanches.
Bêtement — parce que ces lectures m’ont hélas façonné et m’ont ouvert les yeux plus que nécessaire.
Bêtement, parce qu’elles m’ont enlevé toute illusion, tout espoir dans l’Histoire collective, dans la perfectibilité de la collectivité humaine. (Je dis collectivité. Les individus, c’est une affaire — et quand ils sont ensemble, c’en est une autre.)
Depuis 1945, le coup le plus dur pour moi était la guerre de Yougoslavie des années 1990. Les horreurs (européennes) du XXe siècle ont commencé à Sarajevo, en juin 1914 — et si personne n’a rien oublié, personne n’a rien appris.
Quelques décennies après Babi Yar, après Katyn, on re-creuse, on refait creuser les charniers, sur le même continent. Pour venger une bataille perdue en 1389 ! Et le vocabulaire ! « Purification ethnique », qu’ils disent, quarante ans après la Shoah ! Les mêmes mots ! Et à Sarajevo ! Dans un raccourci artistique, ils, les ordures que je déteste à un point que je ne peux même pas exprimer — milošević (minuscule) reçu officiellement par Mitterrand (minuscule ? majuscule ?) — relient la Grande guerre à l’Holocauste et à Srebrenica.
Mais on pourrait aussi parler des Irlandais ou des Kurdes...
Ou des Hongrois. Historia est blabla. Abonnés aux guerres perdues grâce à la stupidité de leurs dirigeants, ils ont vu les deux-tiers de leur territoire retranchés par le traité de Trianon, en 1920. Entre autres comme punition, demandée par les minorités écrasées, maltraitées par la classe dirigeante hongroise. Et voilà que le gouvernement actuel, 95 ans plus tard, rien oublié, rien appris (vous dites magister vitæ ?), cherche noise aux pays limitrophes habités par les anciennes minorités. Et autorise —encourage ?— la haine des Roms et des juifs dans un pays d’où on en a déportés tant, il y a 70 ans, que Primo Levi a pu écrire dans Si c’est un homme qu’à un moment donné à Auschwitz on ne parlait que le hongrois.
Quand j’entends « devoir de mémoire », je ne peux pas m’empêcher de ricaner. « Plus jamais ça. » « La der des ders.» Historia est etc. La belle affaire...
Et, qui l’eût cru, voilà le XXIe siècle des religions ! De certains religieux. Stupides pour beaucoup, ignares, bornés et cruels. On massacre pour la foi, au nom de la foi, depuis toujours, mais dans notre naïveté, nous nous sommes dit, nous tous : nous avons tout vu, tout vécu, et surtout tout lu, et par conséquent désormais c’est-fi-ni ! Après tout, historia est magister tsoin-tsoin ! Et que non ! Daech replonge dans le temps des Croisades en massacrant les « infidèles », des chrétiens re-condamnent Galilée cinq cents ans après sa mort, les newborns américains contestent la théorie de l’évolution, les rabbins de Shass et de Yahadout haTorah décident qui est juif comme l’a fait hitler avant eux. Les mêmes qui ont excommunié Spinoza...
Historia est magister vitæ. Cette phrase n’a aucun sens. Vous avez raison, Madame la Ministre de vouloir supprimer l’étude du latin. Moi, à votre place, j’interdirais aussi celle de l’Histoire. Les deux sont inutiles, voire nuisibles.
Et nous, nous pouvons aller nous faire voir chez les Grecs.
adam biro
septembre 2015
biroadam4(AT)gmail.com
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.