Article paru sur le site d'information Hulala
Et tant pis pour celles et ceux qui n’auront pas lu Double nationalité. Elles, ils, seront simplement passés à côté d’un petit bijou. « Qu’ils retournent au bled cyrillique à traire les coquelicots !» (Juron emprunté à Nina Yargekov).
Yargekov Nina, 2016, Double nationalité - Prix Flore 2016, Paris, P.O.L, 688 p.
Les questions de l’identité, de la nationalité, de la citoyenneté y sont traitées à la fois d’une manière juridique mais aussi morale, humaine et tout cela avec légèreté, drôlerie et une richesse langagière étonnantes. Ce roman est aussi parsemé de jurons truculents, inventifs, de digressions foutraques tout en poursuivant un fil conducteur qui est une réflexion profonde sur les problématiques de l’identité, sur les notions de réfugié politique, de migrant économique.
Il s’agit entre autres, d’un réquisitoire contre et d’un plaidoyer pour certains aspects de deux pays qui nous sont chers, la Hongrie et la France, et singulièrement sur des événements ayant défrayé l’actualité, avec une focalisation sur les questions de la nationalité, de l’identité et du racisme toujours sur un ton léger et moqueur.
Rendre compte de ce roman est difficile, tant il recèle de richesses, de réflexions profondes cachées derrière le paravent pudique de l’humour et des observations futiles. Il faudrait analyser chacune des 684 pages pour y démasquer par exemple des notations comme celles où la narratrice fait resurgir de ses souvenirs perturbés par l’amnésie, un char d’assaut. De cette amnésie et de ce souvenir elle va tirer une réflexion à la fois sur les mécanismes de la mémoire mais aussi sur un des aspects de l’identité.
« Ainsi donc le char, et à présent cette scène dans le bac à sable, dont le char était une citation, un extrait, une capture d’écran, et peut-être même votre émotion en écoutant les appels radio des insurgés de 1956, tout cela n’a rien de personnel, ce n’est pas votre vie mais une mémoire héritée, le souvenir d’un souvenir, le souvenir incorporé du récit que votre mère aura fait de l’épisode. L’amnésie ne vous dérange plus, vous vous êtes habituée, cependant que l’unique souvenir, qui ait été suffisamment puissant pour vaincre le voile, ne soit pas le vôtre mais celui de l’un de vos parents, cela vous désespère au plus haut point, vous vous sentez fondamentalement misérable, comme si vous n’étiez personne, que tout en vous n’était que truchement et procuration, que vous n’aviez pas d’histoire propre, que votre vie ne vous appartenait pas, qu’elle était tout entière prêtée, concédée par ceux qui vous ont précédée. Et votre désarroi lui-même vous perturbe, être hongroise n’est-ce pas précisément recevoir les plaies du passé en héritage, oui mais non, pas comme ça, ce n’est pas comme ça que vous voulez, là c’est comme si on vous touchait mais pas au bon endroit, comme si on vous avait trafiquée de l’intérieur. »
Encore une fois, il est impossible en quelques lignes de dégager toute la richesse, l’intelligence et la saveur d’un tel roman. Il faut le lire et chacun s’y retrouvera , surtout s’il porte en lui un peu ou beaucoup d’une culture multiple. Les deux annexes déposées à la fin du roman sont également des petites perles de drôlerie. Bravo encore à Nina Yargekov dont le roman a reçu le prix du Café de Flore 2016.
Nina Yargekov sera l'invitée des Mardis hongrois de Paris le 14 février 2017
Un court-métrage inspiré du roman vient de sortir
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