"Dans ce dense roman autobiographique, le grand écrivain hongrois retiré à
la campagne, loin de Budapest, mêle à son quotidien le passé et la
mort.
« Almanach » (Evkonyv), de Péter Nadas, traduit du hongrois par Marc Martin, Phébus, 336 p., 22 €.
Comparaison n’est pas toujours raison en littérature, mais à lire
Almanach, du Hongrois Péter Nadas, il en est une qui saute aux yeux : Claude Simon et sa
Route des Flandres (Minuit,
1960). Le Français, Prix Nobel 1985, y fait avancer son lecteur sur un
chemin où la croûte du présent ne cesse de se désagréger sous le poids
de la mémoire, brouillant les époques de la Révolution et de la
Résistance. Dans
Almanach, roman autobiographique écrit par
Nadas à la fin des années 1980, mais où le prénom de l’auteur n’apparaît
qu’à la toute fin du livre, la tradition et le passé affleurent
également derrière la surface lisse d’une existence découpée en mois et
en années, comme pour en redoubler l’épaisseur. A une modernité
oublieuse, la remémoration oppose la grandeur de ce qui n’est plus et la
mort omniprésente.
L’œuvre de Péter Nadas, né en 1942, s’est imposée grâce à deux gros volumes qui l’ont rendu mondialement célèbre,
Le Livre des mémoires et
Histoires parallèles (Plon, 1998 et 2012). A ceux que décourageraient ces milliers de pages,
Almanach offre
une merveilleuse introduction. On y retrouve, condensés, le style et
les thèmes qui parcourent tous ses textes : les digressions
volontairement déconcertantes ; le glissement imperceptible d’une scène à
une autre, comme dans un fondu enchaîné, au seul gré de la
réminiscence, qui prend alors un tour quasi onirique ; l’apparente
discontinuité de la narration ; les phrases élégantes quoique
kilométriques ; l’exaltation érotique, mais retenue, des corps, et la
lucidité sur leur décrépitude ; les trios bisexuels souvent inaboutis…
Plus qu’il ne déroule une narration chronologique, ce livre cherche la
densité d’une atmosphère, fût-ce à l’occasion d’un jogging dans la
campagne hongroise, l’un des morceaux de bravoure du récit, parfois trop
dense, justement, où la description, cette mal-aimée du roman
contemporain, reprend tous ses droits.
Microscopique résistanceLe
cadre est fourni par le hameau de Gombosszeg, à l’ouest du lac Balaton,
non loin d’une frontière qu’il est tentant de franchir. Le narrateur
s’y est retiré, délaissant la Budapest de sa jeunesse. Il y retrouve la
pollution et la médiocrité architecturale du socialisme, mais aussi la
beauté du paysage. Ce réenracinement, cette existence rurale désormais
vouée à la fabrication d’un crépi artisanal et aux motoculteurs
défectueux autant qu’à l’écriture, n’a pas effacé la froide Berlin avec
ses forêts où paradent des nazillons, la moiteur de Rome ou, derechef,
la Budapest des années 1950, villes imaginaires autant que réelles. Dans
un des épisodes les plus réussis d’
Almanach, sorte de longue
nouvelle amoureuse, l’auteur montre comment le culte un peu ridicule,
dans la bourgeoisie destituée, d’une mode et de bonnes manières
désuètes, a pu représenter une forme microscopique de résistance face à
l’égalitarisme de façade claironné par le régime communiste." La suite sur
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