vendredi 19 avril 2013

Le prix de la liberté ? par Flora

    Parfois, on se surprend à fouiller sa mémoire, avec ou sans photos à l'appui. C'est si réconfortant de se réfugier dans un monde révolu qui ne nous réserve plus de surprises désagréables, d'événements tragiques, puisque nous le connaissons. Nous avons toute liberté de trier parmi ces vestiges, en nous réservant ceux qui nous bercent de douces réminiscences !...
   L'avenir ? Les informations anxiogènes déversées sans interruption nous font miroiter un futur peu séduisant sur lequel nous n'avons, semble-t-il, aucune prise. Entre menaces de surpopulation, de catastrophes climatiques, d'intolérances intégristes de tout poil, de guerres larvées, d'épidémies planétaires, il reste peu de place à l'enthousiasme pour cultiver notre jardinet intime...
   Ce regard anxieux date de mon arrivée dans « le monde libre », à mes vingt-six ans. Comme si j'avais été jetée hors d'un nid douillet, même peu confortable. Cela peut surprendre ceux qui n'ont pas vécu dans un régime communiste, du moins, qui n'y ont pas vécu la même chose que moi.
   En 1956, j'étais une enfant ; un peu effrayée, je n'ai pas bien saisi les événements. Les années qui précédaient, se perdent sous un voile bienveillant que les adultes jetaient sur leurs difficultés, afin de nous en préserver. Durant les années 60-70, l'étau s'est considérablement desserré, une certaine liberté de parole, sous self-control aigu, planait sur mes années d'étudiante.
  Le sort de ma famille qui ne faisait pas partie des nantis, ne pouvait que s'améliorer avec le communisme. On ne pouvait pas nous confisquer nos terres, nos usines, nos immeubles : nous n'en possédions pas... Les choses aussi élémentaires que d'aller à l'école au lieu d'être « loué à l'année» au marché, à 6 ans, aux paysans aisés, de se faire soigner gratuitement par un docteur, à la place du morceau de sucre arrosé de pétrole en cas d'angine, c'était déjà énorme ! J'ai pris connaissance de ces temps-là par les récits, profondément ancrés en moi, de mes parents ou grands-parents. Je porte en moi, pour toujours, leurs humiliations séculaires.
   Je ne fais pas partie des nostalgiques du communisme. Ce régime a commis, entre autres, le crime impardonnable du lavage des cerveaux, maintenant les gens dans l'ignorance de leur destin, comme infantilisés, leur ôtant en même temps le poids de s'en soucier. Torpeur démobilisante, risque minime. En arrivant à l'Occident, j'ai découvert une sensation que Márai exprime ainsi dans les dernières phrases de son livre "Föld, föld !" ("Mémoires de Hongrie")  : "Ebben a pillanatban - életemben először - csakugyan félelmet éreztem. Megértettem, hogy szabad vagyok. Félni kezdtem."  ("Au même moment - pour la première fois de ma vie - j'ai ressenti de la peur. J'ai compris que j'étais libre. J'ai commencé à avoir peur."  trad. R.T.)...

Flora

rozsatatar(AT)wanadoo.fr
le blog de Rozsa Tatar: http://flora.over-blog.org

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