Parfois, on se surprend à fouiller sa mémoire, avec ou sans photos à
l'appui. C'est si réconfortant de se réfugier dans un monde révolu qui
ne nous réserve plus de surprises désagréables, d'événements tragiques,
puisque nous le connaissons. Nous avons toute liberté de trier parmi ces
vestiges, en nous réservant ceux qui nous bercent de douces
réminiscences !...
L'avenir ? Les informations anxiogènes déversées sans interruption
nous font miroiter un futur peu séduisant sur lequel nous n'avons,
semble-t-il, aucune prise. Entre menaces de surpopulation, de
catastrophes climatiques, d'intolérances intégristes de tout poil, de
guerres larvées, d'épidémies planétaires, il reste peu de place à
l'enthousiasme pour cultiver notre jardinet intime...
Ce regard anxieux date de mon arrivée dans « le monde libre », à mes
vingt-six ans. Comme si j'avais été jetée hors d'un nid douillet, même
peu confortable. Cela peut surprendre ceux qui n'ont pas vécu dans un
régime communiste, du moins, qui n'y ont pas vécu la même chose que moi.
En 1956, j'étais une enfant ; un peu effrayée, je n'ai pas bien saisi
les événements. Les années qui précédaient, se perdent sous un voile
bienveillant que les adultes jetaient sur leurs difficultés, afin de
nous en préserver. Durant les années 60-70, l'étau s'est
considérablement desserré, une certaine liberté de parole, sous
self-control aigu, planait sur mes années d'étudiante.
Le sort de ma famille qui ne faisait pas partie des nantis, ne pouvait
que s'améliorer avec le communisme. On ne pouvait pas nous confisquer
nos terres, nos usines, nos immeubles : nous n'en possédions pas... Les
choses aussi élémentaires que d'aller à l'école au lieu d'être « loué à
l'année» au marché, à 6 ans, aux paysans aisés, de se faire soigner
gratuitement par un docteur, à la place du morceau de sucre arrosé de
pétrole en cas d'angine, c'était déjà énorme ! J'ai pris connaissance de
ces temps-là par les récits, profondément ancrés en moi, de mes parents
ou grands-parents. Je porte en moi, pour toujours, leurs humiliations
séculaires.
Je ne fais pas partie des nostalgiques du communisme. Ce régime a
commis, entre autres, le crime impardonnable du lavage des cerveaux,
maintenant les gens dans l'ignorance de leur destin, comme infantilisés,
leur ôtant en même temps le poids de s'en soucier. Torpeur
démobilisante, risque minime. En arrivant à l'Occident, j'ai découvert
une sensation que Márai exprime ainsi dans les dernières phrases de son livre "Föld, föld !…" ("Mémoires de Hongrie") : "Ebben a pillanatban - életemben először - csakugyan félelmet éreztem. Megértettem, hogy szabad vagyok. Félni kezdtem." ("Au
même moment - pour la première fois de ma vie - j'ai ressenti de la
peur. J'ai compris que j'étais libre. J'ai commencé à avoir peur." trad. R.T.)...
Flora
rozsatatar(AT)wanadoo.fr
le blog de Rozsa Tatar: http://flora.over-blog.org
flora en hongrois : http://floramagyarblogja. blogspot.com
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