Lamartine
devant l’Hôtel de Ville de Paris le 25 février 1848 refuse le
drapeau rouge.
Huile sur toile de H. F. E. Philippoteaux |
Je ne rate jamais un vote pour glisser mon petit
bulletin rouge et noir dans l’urne de gauche peinte en rose bonbon.
—J’aime ta naïveté, me dit-elle. Vote pour tes
gentils politiciens qui se disent de gauche. Pour ceux qui, quand ils
sortent du dîner des anciens de l’ENA de la Tour d’Argent pour
retrouver leur voiture officielle avec le chauffeur qui est en train
de finir son sandwich jambon-beurre-cornichon, crient : à bas
les riches ! tout le pouvoir aux soviets !
Pour moi, les slogans, les professions de foi, les
« Rebonds » dans Libé, les
« Débats » dans le Monde, les
interviews matinales sur France-Inter, les meetings, les manifs,
c’est du pipeau.
Voici mes critères à moi : n’est pas de gauche
celui qui gare sa moto sur le trottoir, empêchant les aveugles, les
femmes enceintes et les poussettes de passer ; n’est pas de
gauche celui qui abandonne sa voiture sur le passage clouté, et qui,
de surcroît, laisse tourner son moteur pendant qu’il boit son
calva au café. Celle qui raconte sa vie en hurlant dans son
téléphone portable en public n’est pas de gauche, celle qui veut
entrer dans la rame du métro avant que les autres en descendent ne
peut pas être de gauche, celle qui resquille dans la queue, celui
qui ne s’efface pas devant une femme à une porte, qui n’aide pas
une femme à mettre son manteau, celui qui bat sa femme, celui qui
est trop occupé pour chercher le gamin à l’école, celui qui fait
mal aux animaux, tous ceux-là ne sont pas de gauche pour moi.
—Et celui qui dit que les Français sont les meilleurs
est-il de gauche ?
—Non. Et celui qui prétend que les Français sont
nuls ne l’est pas non plus. Pas plus que celui qui aime le pouvoir
pour le pouvoir, qui ne donne une pièce aux mendiants que quand on
le voit, celle qui veut toujours être la première, celle dont
l’idéal c’est d’être une bonne seconde, celle qui se moque de
la dernière, qui met ses convictions dans sa poche pour garder sa
place de ministre, qui n’a pas d’opinion et fait tout de même de
la politique, le politicien qui dit toujours « je » et
qui ne reconnaît jamais ses torts, le même qui loue son appartement
et se fait attribuer par ses potes un logement à loyer modéré. Et
celle qui veut se faire bien voir de son patron, qui dénonce ses
collègues, qui envoie une lettre anonyme, peut dire, chanter et
scander ce qu’elle veut, n’est pas de gauche et peu m’importe
son vote.
Pour moi tous ceux-là peuvent militer chez les
socialistes, les trotskistes ou les anars, être députés, ministres
ou présidents, chanter l’Internationale à
tue-tête sous la douche, distribuer des tracts rouges fluo au marché
de Pantin, ils seront toujours des pauvres types. Et surtout pas de
gauche...
Puis arriva le coup de grâce.
— Et par-dessus tout : j’interdis à celui ou
celle qui n’aime pas la nature, la peinture, la poésie, surtout la
poésie, de s’afficher à gauche.
— Quelle belle énumération ! Cependant tu ne
parles pas d’opinions politiques, mais de manques d’éducation et
de culture, d’incivilités, d’impolitesses, de défauts moraux,
de malhonnêtetés.
—Oui. Pour moi, être de gauche c’est être moral,
respecter les autres, accepter les lois basiques de la cohabitation.
Il n’est pas concevable de faire de la politique autrement.
J’étais assez d’accord, sauf que, pour elle, être
de gauche c’était être parfait. Quel ennui ! Et je pensais
qu’aider une femme à enfiler son manteau est certes important,
mais que cela ne suffisait pas pour changer une société et que
parler du loyer des ministres est du populisme. Quoi que… quel est
le plaisir de vivre dans une société de brutes ? Où l’on
n’aide pas sa compagne à mettre son manteau ? Quant aux
ministres de gauche, ils doivent être comme la femme de César (qui
n’était pourtant pas très à gauche), au-dessus de tout soupçon.
Le Diable se cache dans les détails. Le Diable est-il de gauche ou
de droite ? Je sentis soudain l’inanité des termes de gauche
et de droite ; je sentis le sol que j’arpente depuis tant de
décennies se dérober sous mes pieds.
—Celui qui se gare sur le trottoir joue contre les
autres. Quand on est contre les autres, on n’a évidemment pas de
projet de société, on met l’intérêt individuel au-dessus de
l’intérêt de la collectivité, on ne se soucie pas du bien-être
général, ce qui est ma définition de la gauche. Donc celui qui
abandonne sa moto sur le trottoir n’est pas de gauche. Cela
s’appelle un syllogisme.
—Et la moto, elle de gauche ou de droite ?
demandai-je.
—Le dîner est prêt, viens à table.
adam biro
mars 2013
biroadam4@gmail.com
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