Myosotis
(Myosotis
scorpioïdes Linné),
Vergißmeinnicht, niezapominajka, forget-me-not, nefelejcs,
nontiscordardime, nu-mă-uita
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Message.
Un moment, dans la nuit du dimanche 30 mars, j’ai pensé qu’il ne
faisait pas bon d’être oto-rhino en France ces jours-ci. Comme
suite aux élections municipales, tous les politiciens dont, pour mon
déplaisir et par une déformation pathologique je retiens les noms
inutiles, tous, de l’extrême ailleurs au centre radical, ont
« entendu le message ». Ils l’ont répété à satiété,
sur les ondes, sous les ondes, « j’ai entendu le message »,
« nous avons entendu le message », « le
gouvernement a dû entendre le message ». Tout le monde entend
très bien, plus besoin de médecin. Et puis quelques jours après,
le lecteur-écouteur-voyeur de base de mon espèce a pu se rendre
compte que personne n’avait rien entendu. Il y avait un message ?
Les oto-rhinos peuvent dormir sur leurs deux oreilles. Et les
ophtalmos peuvent opérer les yeux fermés. Puisque personne ne voit
rien, non plus.
J’écris cela,
énervé— en train de lire Tocqueville, normal… — et je
m’arrête. Ils ne voient rien, ils n’entendent rien… C’est
faux. Ils voient les fastes et les privilèges dus aux champions
(faillis, victorieux, peu importe) de la chose publique, ils
entendent les trompettes de la renommée, et surtout, ils sont
attirés par l’odeur aphrodisiaque du pouvoir. (Quelle banalité !
Ça ne changera donc jamais ? Non, jamais. Cicéron déjà…)
*
Croissance.
Tout le monde la réclame et tout le monde sait qu’à force de
croître, nous irons dans le mur. Nous détruirons la Terre, son
fragile équilibre, les myosotis — et la vie humaine. C’est
scientifiquement prouvé. Mais il faut gagner les élections. Il fut
un temps où la défense de l’environnement était un vrai souci.
Le très officiel rapport Mansholt, en 1968, prônait la croissance
zéro. Allons donc, enfants de la Patrieeeee, qui s’intéresse à
l’avenir lointain de la Terre ? Sûrement pas les écolos
français. Eux, de moins en moins verts, font urgemment de la
politique.
*
« Une démarche
citoyenne »,
« une pensée citoyenne », « une attitude
citoyenne », « un esprit citoyen »… Pour que j’utilise
ce mot égosillé à gogo par tous les politicards, tous les
égoïstes, tous les ennemis de la vie commune, entièrement vidé de
son sens, j’attends la saison des cerises citoyennes et des
concombres citoyens. Au levain. Je sais les préparer.
*
Élections.
Le candidat écolo-vert de mon arrondissement parisien m’explique
qu’« il faut rendre (?) les ateliers de couture ou de
confection aux habitants ». (Je le traduis en français pour
ceux qui ne parlent pas le citoyen : il faut boboïser un
quartier populaire, vendre ou louer à prix d’or d’anciens
ateliers à loyer -trop- bas.) Les ouvriers qui y travaillent n’ont
qu’à aller en banlieue — où, de toute façon, habiteront tous
les jeunes, tous les vieux, et les immigrés de tout âge. On sera
enfin entre nous, entre citoyens. J’essaye de lui dire qu’une
ville pour qu’elle soit viable et humaine doit être un tout, un
monde, un mélange de jeunes et de vieux, de pauvres et de riches,
d’ateliers, de bistrots, de bordels, de boulangeries, de boucheries
et de banques, mais il m’a déjà tourné le dos. Je veux aller, du
coup, boire un café dans le quartier d’où il faut extirper la
confection. Trois euros cinquante au comptoir. Chouette ! Ils
seront drôlement contents, « les habitants ».
Et il n’y aura pas besoin d’expulser les
ateliers. Ils partiront d’eux-mêmes.
*
*
Des noms.
L’auteur du
Sabina Poppæa, l’une
des plus belles œuvres du Musée d’Art et d’Histoire de Genève,
est anonyme. Pour le moment. Un jour les érudits l’identifieront.
J’espère. Et même si… L’œuvre est là.
J’ai vu les toiles
et les quelques, trop peu de dessins de l’exposition « Les
fêtes galantes » au musée Jacquemart-André à Paris. J’aime
cette époque, ce mortifère Ancien régime. « Qui n’a pas
connu… », etc. S’embarque-t-on pour Cythère ou plutôt
pour l’Au-delà chez le grand Watteau, mort à trente-sept ans
(tout comme Raphaël, Toulouse-Lautrec, Van Gogh, Rimbaud) ? La
mélancolie est partout… cela mériterait développement. L’affiche
de l’exposition montre le détail d’un tableau. Avec le logo bien
visible de tous les sponsors, et il y en a. Le nom du musée, son
adresse Fessebouc, Twitter, Mickey Mouse. Et © RMN, bien sûr. Et le
nom de l’agence de communication surdouée qui a sous-traité
l’affiche auprès d’un graphiste. Et le nom du photographe. Il le
mérite. Quel talent ! Un détail y manque : le nom du
peintre.
Quel peintre ? De
quoi parles-tu ? Ce n’est pas un tableau. C’est de la pub.
Mais un jour, on aura oublié et Jacquemart, et André, et la RMN et
l’agence Schnürff… et il ne restera que Nicolas Lancret.
J’espère. Sinon, pas grave. Son œuvre résistera.
La Fondation Hans
Wilsdorf, propriétaire de Rolex, a offert en 2012 un très beau
pont, moderne et original à la ville de Genève. Le pont Hans
Wilsdorf. Il relie, par-dessus l’Arve, la rue de l’École de
Médecine à la rue Hans Wilsdorf. Devant le pont, une douzaine de
grands panneaux montrent d’abord le portrait du patron décédé,
Hans Wilsdorf, puis les étapes de la construction du pont, les
esquisses, l’idée de départ. Ils illustrent le travail des
scaphandriers et des ouvriers. Un détail y manque : le nom des
architectes.
Quels architectes ?
De quoi parles-tu ? Ce n’est pas de l’art. C’est de la
pub. Mais un jour, on aura oublié et Hans, et Wilsdorf, et Ro et lex
et seuls Brodbeck, Roulet et associés
survivront. J’espère. Et l’Arve avec, à
cette saison, plein de myosotis sur ses bords. Peut-être. Si les
chevaliers de la croissance leur laissent une chance.
adam biro
mai
2014
biroadam4(AT)gmail.com
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