Voici un phénomène que j’ai découvert après de longues recherches: L'intégration a créé une contradiction au sein des familles juives. Tout d'abord, le changement social et culturel a libéré des énergies considérables, entraînant une forte éclosion de talents, mais, dans les familles, l’ordre interne archaïque restait intact, tout au moins dans la première, seconde génération. Ainsi, la relation envers les femmes et les enfants restait inchangée. Les attentes de succès extrêmement élevées et les relations parentales conservatrices mettaient en danger les structures psychologiques des individus. Cette double conscience ajoutée aux exigences de la société assimilatrice ambiante, ont produit la négation de soi, la schizophrénie et l'autodestruction, entraînant névroses et dépressions. Certains en ont conclu devoir occulter leur origine, protégeant ainsi leurs descendants déjà à la fin du XIXe siècle, alors qu'en fait, il n'y avait pas de raison sérieuse pour cela. Ils ne se doutaient pas que cette décision dépossédait les générations à venir de leur identité et a souvent produit des tragédies, parfois les psychoses.
Mais c’est justement là qu'une question émerge : peut-on changer de culture et de religion, comme on change d’opinion politique, de maison ou de vêtement ? On est arrivé à se demander ce que veut dire d’être juif ? On n’a pas de réponse exhaustive : est-ce une religion ? est-ce une ethnie ? Je dirais que c’est une structure, une culture et une religion.
Cette culture fonctionne à l’orientale, mais les juifs ne savaient plus d’où ils venaient et se croyaient occidentalisés à la différence des peuples parmi lesquels ils vivaient. Car pour eux les commandements et les lois innombrables ont servi de tabou lesquels étaient là pour sauvegarder leurs différences, et cela pendant des millénaires. Il fallait rester un corps étranger, surtout sans aucun mélange. Les mariages endogames créaient des tribus fortement cohérentes, de réseaux et de soutien.
Ces choix s'avérant paradoxaux ont créé des tensions et incitèrent des générations à se révolter et bien qu'issues de la bourgeoise, elles prenaient des positions politiques extrêmes, ce qui avait un effet très négatif vis-à-vis des populations du pays.
J'ai remarqué également que la structure biblique au sein des familles fonctionnait d’une manière contradictoire par rapport à la famille européenne. Le caractère endogame des mariages, les réseaux des relations familiales, d’affaires, survolaient les frontières nationales, ce qui était inconnu dans la manière de vie hongroise. Lorsque les gens ont essayé de changer et ont eu des projets de vie personnelle, cela déclenchait des réactions incroyables au sein de leurs familles. C’est en même temps qu’ils ont été exposés au rejet par la communauté, alors qu’ils n’ont pas encore intégré les codes nouveaux pour eux.
Il faut parler également de la culpabilité profonde que ces changements ont suscitée, consciemment, mais souvent aussi inconsciemment, puisque dans la religion juive rien n’effraie plus que l'exclusion, si on manque aux 367 interdictions, puisque la notion d'enfer n'existe pas. L’enfer est la solitude et l’exclusion.
La littérature d'Europe centrale illustre ce déchirement, pensons à Kafka. Le cas de Frigyes Karinthy est fantastique, il décrit cette dualité déchirante, le sentiment d’exclusion, sans connaître ses origines juives. En fait, cette problématique complexe ne devient vivable que par la création. D’où l’éclosion d’artistes, écrivains, architectes, scientifiques, inventeurs, champions sportifs, qui n’existaient pas auparavant dans cette communauté. C'est le sens également de la naissance de la Psychanalyse dans la Monarchie.
Parlons d’intégration :à ce jour, ce qui s’est passé au XXe siècle n’est pas élucidé. Alors que parmi les nombreuses minorités, toutes ont pu faire partie de la nation hongroise, ce sont les Hongrois juifs qui suscitèrent, d’abord de nouveau le rejet, puis la discrimination et durant la deuxième guerre une destruction effroyable. Il n’y a pas encore de réponse, car sur le plan culturel ils ne différaient pas du reste de la population, leur sentiment national était sans faille.
Quel est le facteur qui a produit ce désastre ? Cette vague meurtrière venait des pays germaniques, dont la culture diffère de celle des Hongrois, laquelle a plutôt tendance à intégrer. Mais des forces destructives jaillissaient du pays même, dont la source pourrait se trouver dans la grande disparité sociale, suite au développement fulgurant de la fin du XIXe siècle de cette société où les villes parvenaient au niveau européen tandis que la situation des campagnes et des banlieues demeurait très en retard. Songeons au livre « Peuple des pusztas » de Gyula Illyés ou aux poèmes d’Attila József. L’ultra-nationalisme, puis le fascisme ont trouvé un terreau dans les tensions sociales, que les gouvernements conservateurs ont voulu ignorer et même utiliser. Moi-même enfant, en allant dans les campagnes, j’étais frappée de voir des enfants pieds nus dans la neige, les maisons de terre battues sans électricité. La perte de la première Guerre, puis la Hongrie amoindrie généraient des amertumes et fermentaient la rancune. L’attraction de l’Allemagne nazie a joué car l’illusion de sa grandeur éblouissait la Hongrie empêtrée dans ses contradictions. Après le 19 mars 1944 c’est avec l’aide de la gendarmerie hongroise que les 450.000 citoyens hongrois juifs ont été arrachés à la nation.
Cela signifie aussi, que le pays s’est auto-mutilé de près de 5% de sa population. Il faut dire que des gens admirables ont risqué leur vie en donnant asile et protection aux persécutés et c’est pourquoi aujourd’hui je puis être parmi vous ici. La réponse à cette question n’est pas exhaustive et des chercheurs ont de quoi travailler pour trouver les raisons de ces pulsions destructives lesquelles s’en prennent aux juifs en Europe, car dans d’autres civilisations ce n’est pas le cas.
L’oeuvre d’Adolf Engel a mis du temps à s’anéantir : après la seconde guerre l’expropriation par le régime communiste a privé la famille de tous ses biens, mais la fabrique de parquet a continué à fonctionner, puis l’incompétence aidant elle a été supprimée. Les domaines ont été transformés en coopérative, et c’est après le changement de régime que les exploitations ont cessé. Dans le château, on accueillait des enfants abandonnés jusqu’à, il y a six ans, puis par des décisions inexplicables le bâtiment a été abandonné. Donc il ne reste plus rien, puisque les mines ont été fermées également. Cependant, à ma grande surprise, mes liens se sont approfondis avec la ville de Pécs et de Komló. Dés 1972, alors que j’avais obtenu la nationalité française, je suis retournée en Hongrie, et mon chemin allait vers ces villes.
Comment l’expliquer ? Mon coeur m’y a conduit. Retrouver mon enfance dans ces paysages, et tout cela avec élan et bonheur. On pouvait y passer des vacances, ainsi mon fils a-t-il aussi connu cette terre. Mon exposition à Pécs s’ouvrait en 1978 au Musée Janus Pannonius de Pécs. Puis peu à peu je me suis rapprochée des responsables des mines et de la Ville de Komló sur les conseils de mon mari, qui m’accompagnait, et c’est ainsi que seule représentante de ma famille, je recueillais toute la sympathie que les habitants de la région ressentaient envers mon ancêtre. J’ai compris que c’est son exemple créatif ce qui reste de lui et que Komló salue tous les ans devant sa statue, laquelle a été sauvegardée par les mineurs pendant les époques de destruction. C’est ainsi que j’ai rencontré Rózsa Jakab et Gábor Szirtes qui ont eu l’idée de ce livre, et je leur dis merci pour Adolf, pour ma mère et pour ma famille.
jeudi 26 novembre 2009
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