Discours de János Lázár, Président de la Commission internationale de l'Année commémorative 2014 de l'Holocauste en Hongrie - Maison de l'UNESCO, Paris, lundi 27 janvier 2014
- Excellences, Mesdames et Messieurs, chers invités, Un article d’encyclopédie peut, tout au plus, apprendre à nos enfants que l’Holocauste fut la tragédie de 6 millions de Juifs européens. Il nous appartient donc de leur apprendre que l’Holocauste ne fut pas uniquement la tragédie de 6 millions d’hommes, de femmes et d’enfants mais celle de l’humanité tout entière.
- Comme disait le poète catholique hongrois, János Pilinszky, l’Holocauste fut le scandale du siècle. Et il entendait par là, selon Imre Kertész, écrivain hongrois prix Nobel de littérature, survivant d’Auschwitz, que l’Holocauste « intervenu dans un environnement culturel chrétien est, de ce fait, insurmontable pour l’esprit métaphysique ».
- L’Holocauste, la Shoah est une expérience humaine indépendante des frontières géographiques et chronologiques. Une expérience universelle.
- Elle doit l’être, elle doit le devenir, sinon nous ne sommes pas dignes d’être appelés des ’hommes’. Sinon nous ne sommes plus dignes de nous voir confier cette planète par le Créateur ; d’en être les seuls habitants investis de raison et d’âme.
- Car raison et âme ne sont pas que des droits. Elles sont aussi responsabilité.
- Le meurtre et tout particulièrement le génocide est une violation du droit à l’existence humaine, une violation de la responsabilité inhérente à l’existence humaine. Il est au fond une trahison de l’homme face à son Créateur.
- Pour nous, Hongrois, la Shoah n’est pas seulement universelle, elle est aussi notre tragédie nationale. Pour la désigner, nous avons notre propre terme : Vészkorszak (sinistre époque). On ne peut guère trouver en français un équivalent dont le sens comporte autant de malheur et d’atavisme …
- Oui, la Vészkorszak, la Shoah est pour nous une tragédie nationale. Elle l’est doublement.
- Elle l’est, d’une part, car une victime sur dix de la Shoah, et une victime sur trois du camp d’Auschwitz-Birkenau étaient de nationalité hongroise.
- Elle l’est, d’autre part, car il y a eu beaucoup de Hongrois non seulement parmi les victimes mais aussi parmi les coupables.
- Pour les Hongrois, l’Holocauste est un péché ancestral, biblique : c’est un fratricide. C’est la négation et la trahison de tout ce qui constituait les fondements de notre culture, de notre identité. C’est aussi la trahison de notre être hongrois.
- Car en Hongrie, dans ce pays centre-européen doublement concerné, l’idéologie dominante entendait pendant plusieurs décennies falsifier et dissimuler le passé.
- « Oublier notre passé, diluer les frontières morales entre coupable et victime. Nous oublier nous-mêmes. » Voilà le prix que la tyrannie communiste exigeait des Hongrois en échange du calme mensonger du communisme du goulache.
- Aux années de la dictature communiste, c’est la politique de l’oubli, la culture de l’amnésie collective qui fait obstacle à toute confrontation, qui empêche d’avouer le passé.
- Et aussi de connaître une sorte de catharsis sans laquelle il n’y a pas de purification ni de redémarrage.
- Or, je dois vous avouer, Mesdames et Messieurs, que de cette catharsis, la Hongrie libre née après le changement de régime, en est restée elle-même débitrice.
- Pendant des années, des décennies, des demi-vérités ou simplement des mensonges ont continué d’exister au sujet de la Shoah.
- Au sujet du fait que des crimes avaient été commis non seulement contre nous mais que nous avons nous-mêmes péché contre nous. Par inaction et, hélas, aussi par action.
- D’une part, certains dirigeants de l’État hongrois portent une lourde responsabilité personnelle de la déportation des juifs hongrois. De la condamnation à mort de leurs propres citoyens.
- Et, d’autre part, l’État hongrois était incapable de protéger ses propres citoyens et n’a même pas fait tout ce qu’il aurait pu faire à cette fin.
- Nous savons que regarder les choses en face constitue un long processus douloureux, accompagné de polémiques. Un processus qui, par définition, ne pourra probablement jamais être clos définitivement.
- C’est un chemin, un processus éprouvant mais qui seul peut nous conduire dans un monde où il ne pourra plus jamais y avoir d’Auschwitz. Plus jamais !
- Le jour d’aujourd’hui et ce qu’il symbolise représente une étape importante sur ce chemin.
- Voilà pourquoi je souhaite exprimer tout mon respect et tous mes remerciements à Madame la Directrice générale Bokova et à l’Unesco pour la réflexion commune, la coopération et le soutien de notre travail.
- Permettez-moi de confirmer de nouveau au nom du gouvernement hongrois ici et maintenant l’engagement qui a engendré cette coopération et qui l’a caractérisée jusqu’au bout. La Hongrie est déterminée à soutenir en partenaire les objectifs de l’Unesco, sa noble mission et soutient avec conviction les programmes éducatifs visant à transmettre le souvenir de l’Holocauste.
- En effet, le message majeur du 70e anniversaire doit être avant tout ceci :
- L’État hongrois ne lâchera plus la main d’aucun de ses citoyens ! L’État hongrois protégera tous ses fils et toutes ses filles. Il les protégera contre toute intention meurtrière, tout ennemi extérieur, et toute trahison interne.
- La Hongrie, ce nouveau pays européen d’après l’Holocauste a retenu l’enseignement et ne le laissera oublier à personne !
- L’objectif du gouvernement hongrois est de faire de l’Année de Commémoration de l’Holocauste en Hongrie le temps de regarder les choses en face. D’en faire un tournant dans l’histoire de la Hongrie libre.
- Ce douloureux anniversaire ne peut en effet tolérer d’autres inachèvements ni d’autres illusions. Et la Hongrie a aujourd’hui un gouvernement non seulement prêt à exécuter un tournant de politique de mémoire mais aussi capable de l’exécuter.
- Regarder les choses en face veut dire pour nous que nous n’avons plus deux manuels d’histoire selon nos préférences politiques ou notre vision du monde. Nous n’avons qu’un manuel d’histoire commun.
- Et les nouvelles générations qui l’étudient grandissent enfin en l’absence de contradictions entre la mémoire nationale enseignée à l’école et les souvenirs hérités de leurs parents et de leurs grands-parents.
- L’Année de Commémoration de l’Holocauste interpelle l’éducation. Au sens strict et au sens figuré du terme. Nous sommes en effet convaincus qu’après l’Holocauste l’une des tâches majeures de l’École est de rendre impossible pour tout État européen la reproduction de ce qui s’est passé il y a 70 ans.
- Regarder les choses en face exige donc que nous élevions au rang de loi morale l’ordre de se souvenir et l’interdiction d’oublier. Autrement dit : notre objectif est de faire de sorte qu’au 21e siècle personne ne puisse devenir un adulte en Hongrie sans connaître aussi bien les crimes commis par les Hongrois contre eux-mêmes que le souvenir des Hongrois ayant sauvé d’autres hommes.
- Car l’oubli les concernait eux aussi : nous leur étions infidèles tout comme à ceux dont ils avaient sauvé la vie.
- Cependant l’oubli sélectif ne peut être guéri par un souvenir sélectif.
- Après les décennies au cours desquelles nous avons peu à peu effacé de la mémoire nationale les Hongrois coupables, maintenant, au moment de la repentance tardive, nous ne devons pas tomber dans l’excès inverse. Dans l’erreur de ne pas parler aussi des Bons.
- Nous devons nous souvenir de la bonté, de l’humanité que des hommes courageux ont su garder même pendant les temps les plus inhumains. Nous devons nous souvenir de ces hommes et transmettre leur souvenir. Le souvenir « des Justes hongrois » si vous me permettez d’emprunter ce terme.
- De ceux qui ont sauvé la vie de leurs compatriotes – et l’honneur de la Hongrie.
- L’un des plus grands poètes hongrois, Attila József est l’auteur d’un poème sur le Danube, ce grand fleuve européen dont l’interminable écoulement constitue un symbole de l’histoire des Hongrois.
- Il y a 70 ans, les flots de ce fleuve sont devenus le tombeau d’un grand nombre de nos compatriotes. Les Hongrois abattus au bord de l’eau avant d’y être jetés n’ont laissé sur les pierres du quai que des chaussures devenues orphelines et dont les copies en bronze se trouvent encore aujourd’hui sur la rive de Pest du Danube.
- Permettez-moi de clore mon intervention en citant la dernière strophe du grand poème d’Attila József :
pour tout combat qu’il faille avouer le passé.
Du Danube, tout entier passé, présent et avenir,
les tendres flots viennent à s’enlacer.
Malgré le combat que se livrèrent nos défunts,
avec le souvenir, la paix saura les rejoindre.
Arranger enfin nos affaires en commun,
c’est notre tâche, et non la moindre. »
Merci de m’avoir écouté.
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