dimanche 1 juin 2014

De la révolution par Adam Biro

Des amis qui me voulaient du bien m’ont reproché plus que le ton, l’humeur qui sous-tendait certains de mes billets récents. Ils me trouvaient sombre, cafardeux, pessimiste. Ce que je ne suis pas.
Voici donc, pour prouver que leur jugement est faux, une histoire joyeuse.
Il y a plusieurs décennies, une grosse et très riche fondation qui aidait les arts a invité six éditeurs européens et américains dont ma peu modeste personne, à Los Angeles, pour donner notre avis sur la politique de subvention de ladite fondation. (Les arts et les artistes ont toujours eu besoin d’aide, de Mécène aux FRAC, en passant par Jules II, les Médicis, Louis XIV, Jacques Doucet et le père Tanguy. Et c’est bien ainsi. Les autoroutes n’ont pas besoin de subvention.) Voyage Paris — L. A. en première classe, eh oui, l’unique fois de ma vie. Et never again. Même le Saint-Aignan —Vierzon en TER, je le fais, quand c’est moi qui dois payer, en troisième classe, avec des paysans à moustache et à toque de fourrure qui fument la pipe, sentent l’ail, m’offrent de l’eau-de-vie et saucissonnent joyeusement. Il faut dire qu’American Airlines n’atterrit plus à Vierzon depuis des décennies. Puis, une fois sur place dans les Amériques, à moi l’hôtel de grand luxe à Santa Monica, au bord du Pacifique ! Cinq jours dans le palace, avec son bar et son combo cubain en sous-sol, son restaurant sur le toit, sa piscine, sa limousine avec chauffeur à disposition… Moi, démocrate et près du peuple, ne voulant pas exploiter un pauvre prolétaire américain (à l’attention des Est-européens : si si, ça existe !), j’ai loué une Cadillac rose décapotable pour parcourir Venice et tous les musées de Los Angeles County. Dommage que la visière d’une casquette des « Los Angeles Dodgers » surmontant mon Ray-Ban Aviator ont caché mon visage hâlé devant les groupies en délire, massées des deux côtés des free-ways. Et tout cela au frais de la princesse. (C’est une façon de parler. Aux États-Unis c’est la fortune qui indique votre rang social et non pas vos quartiers de noblesse. La Révolution française a aboli les privilèges acquis par la naissance pour les remplacer par ceux dus à l’argent, une bourgeoisie envieuse, impatiente et inhumaine a chassé une noblesse pourrie… mais chut ! on m’accusera d’être désabusé et pessimiste…)
Notre travail, pour mériter ce voyage et cet hébergement princiers (et les émoluments non négligeables, en dollars, dont je n’ose pas mentionner le montant après ma remarque sur l’argent) consistait en une seule journée de débat, suivie d’un cocktail et d’un dîner. Lors du débat, notre Comité de salut public a été impitoyable. Mus par la jalousie ou le désir de prouver que nous étions incorruptibles ou par l’envie de montrer que l’argent, même beaucoup d’argent ne pouvait pas tout ou par un désaccord authentique, je ne sais plus, mais le fait est que nous avons mis en pièces le programme de subvention éditoriale de la fondation. Non, on ne peut opposer une fin de non-recevoir sans explication sur une feuille polycopiée de travers à la demande du professeur X, le plus grand spécialiste mondial de la Renaissance florentine. Non, il est inutile d’aider un pavé sur un peintre obscur et insignifiant simplement parce que le manuscrit fait mille deux cents pages, que l’auteur y travaille depuis de longues années et qu’il est post-doc à Harvard. Et que la somme allouée au professeur Y pour un soi-disant voyage de recherches est ridiculement élevée, motivée par sa position universitaire et ses amitiés, d’autant plus que chacun savait que ce voyage avait des motifs familiaux… hm… sentimentaux…hm. Et que les formulaires à remplir, les pièces à produire, par la méfiance qu’ils sous-entendaient relevaient des procédés du tribunal révolutionnaire. Bref… Comparé à nous, le procureur Fouquier-Tinville était une timide fille au pair. Aucune tête récompensée, aucun projet aidé ou refusé ne trouvait grâce à nos yeux. Ou si peu.
L’atmosphère du cocktail qui suivit n’était pas glaciale, non, seulement tiède. À un moment donné, sur un ton banal et enjoué, un verre à la main, avec mon Hungarian English inimitable, mâtiné de français, je me suis tourné vers l’organisatrice de l’événement pour, gentleman et mondain, la remercier de l’accueil et pour lui poser la question, à peine intéressée, si la fondation avait l’intention d’organiser ce genre de débat d’évaluation régulièrement, par exemple l’année prochaine, auquel cas…
La réponse fusa, accompagnée d’un regard acéré comme la lame de la guillotine :
Never again!
Ça nous apprendra, à faire la révolution.
P.S. Pour donner quand même raison aux amis qui me taxent de pessimiste : « Nous sommes vraiment un vieux continent et peut-être avons-nous fait notre temps. Les civilisations sont mortelles. » (Écrit en mai 2013.) Ceux qui votent contre l’Union européenne votent la disparition de l’Europe. « Ils ont voté et puis après ? » Léo Ferré.
adam biro
juin 2014

1 commentaire:

  1. Pouah l'Amérique! But, Léo Ferré pensait-il au vote par les pieds, ceux par exemple d'Anna Harendt déclarant que le livre le plus précieux de sa bibliothèque était son passeport américain?

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