Je tiens à vous signaler un événement important: l'exposition d'une
photographe surréaliste hongroise remarquable, Kati Horna (1912,
Budapest-2000, Mexico), au Jeu de Paume, du 3 juin au 21 septembre.
Née Katerine Deutsch, Kati Horna était la plus jeune des 3
filles d'un riche banquier juif de Budapest, Alejandro Deutsch et de sa
femme Margarita. Enfant, elle a été témoin de terribles persécutions
des Juifs et des Communistes par un gouvernement d'extrême droite en
1919. Adolescente , elle s'affirma comme disciple fervente
du philosophe, écrivain et éditeur de gauche, Kassák, dont l'influence
l'a marquée à vie. Elle a également découvert le surréalisme au Café
Corona à cette époque, où la jeunesse avant-garde de Budapest venait
écouter Kassák. Ce dernier a fondé la revue Dokumentum, principalement
consacrée à l'architecture du Bauhaus, à l'art constructiviste et à la
littérature surréaliste. Un de ses plus grands amis, à partir du lycée,
du même milieu juif et ayant la même idéologie de gauche, était un
certain Endre Friedman, qui allait devenir le grand photographe de
guerre Robert Capa. Ils se sont photographiés l'un l'autre et on
retrouve le portrait de Capa jeune par Kati Deutsch (1933) dans tous
les livres sur lui.
1933, c'est l'année où Kati commença ses études de photographe, après
un court voyage à Berlin. La mort de son père et la montée de
l'Hitlérisme l'obligèrent à gagner sa vie et les portraits
photographiques ont été son gagne-pain principal pendant toute sa vie
d'adulte. Vers la fin de l'année, elles partit pour Paris avec le
Rolleiflex que sa mère lui avait offert. Elle travailla beaucoup à
Paris, dont à une série sur les cafés, malgré la menace du fascisme qui
planait sur l'Europe. Peu après, comme Capa et son amie co-photographe
Gerda Taro, Kati devint une héroïne de la guerre civile d'Espagne, en
tant que reporter-photographe. Elle travaillait surtout dans les villes,
comme Madrid et Barcelone, où elle photographiait les pauvres et les
petites gens, révélant davantage leur courage et leur dignité que leur
statut de victimes. C'est à Barcelone, en 1937, que Kati Deutsch
rencontra son futur mari, le peintre et sculpteur andalou, José Horna.
En 1938, les Horna ont réussi à émigrer à New York, sous la
protection de l'Ambassade du Mexique et là, grâce à la générosité de
leurs co-réfugiés, le couple sans le sou a pu s'offrir une cabine sur un bateau en partance pour Veracruz, puis de là s'acheminer vers Mexico,
où il leur fallait trouver du travail et un logement. Ils n'ont plus
guère quitté la capitale mexicaine, où est née leur fille Norah. Ils ont
été parmi les premiers à constituer le groupe mexicain de surréalistes
européens en exil et furent vite rejoints, entre autres, par Remedios
Varo et Benjamin Péret, Wolfgang Paalen, Alice Rahon et Eva Sulzer,
Leonora Carrington, puis un autre photographe hongrois, Chiki Weisz,
autrefois le meilleur ami de Capa à Budapest et qui épousa Leonora
Carrington en 1946.
C'est à Kati Horna que nous devons presque toutes les photos du
groupe surréaliste en exil à Mexico, dont toutes celles du mariage de
Carrington et Weisz. Horna a aussi abondamment photographié les
habitants de la capitale mexicaine, en particulier les plus humbles,
comme elle l'avait fait à Budapest, à Paris et en Espagne. Son oeuvre
n'est pas passée inaperçu, mais Horna refusait les expositions, disant
que la pratique de son art lui prenait tout son temps et elle qu'elle
n'en voyait pas l'utilité. Elle n'avait aucune ambition personnelle.
Après le décès de sa mère en 2000, Norah Horna a découvert le trésor de
son oeuvre, comme Antony Penrose avait fait pour celle de sa mère Lee
Miller.
En 2010, 4 ans après la mort de Kati Horna, une très belle
exposition a été organisée en Angleterre, à Pallant House Gallery dans
le Sussex et à la Sainsbury Centre for Visual Arts à Norwich, sur 3
amies surréalistes / Surreal Friends: Leonora Carrington, Remedios Varo et Kati Horna, ce qui a permis au public en dehors du Mexique de découvrir la photographe.
Aujourd'hui, nous avons l'immense chance de pouvoir voir une belle
rétrospective de Kati Horna au Jeu de Paume pendant presque 4 mois!
J'espère que vous y viendrez nombreux!
Georgiana Colvile
http://www.jeudepaume.org/
jeudi 5 juin 2014
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