Le
« chemin »
entre
Saint-Chély et Saint-Côme d’Olt.
Photo
© WL
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L’une
de mes passions avouables est la marche, avec mes complices
habituels. Balade, randonnée, promenade, course de montagne, peu
importe, pourvu que je puisse mettre un pied devant l’autre — et
aussi longtemps que je peux mettre un pied devant l’autre.
Si
nous ignorions (défaut d’éducation religieuse ? de
connaissances historiques ? géographiques ?) que le
parcours choisi cet automne sur le GR 65, Aumont-Aubrac — Figeac,
était une portion d’un des chemins de pèlerinage menant à
Saint-Jacques de Compostelle, les neuf jours de cheminement nous ont
amplement renseignés. Des croix avec suppliques, photos, souliers,
des coquilles et des inscriptions pieuses à chaque bifurcation, des
paysans vous offrant des boissons chaudes et des biscuits le long du
chemin, des gîtes tenus par des hospitaliers de Saint-Jacques qui
vous nourrissent et vous logent pour une somme laissée à votre bon
vouloir… Repas pris en commun, prières et complies facultatives…
Une hospitalière particulièrement dévote a même tenu à enlever
mes chaussures de marche et mes chaussettes pour me laver les pieds —
mais c’en était trop. Des randonneurs qui ne cherchent qu’à
marcher — c’était notre cas, mécréants hédonistes ; des
pèlerins qui empruntent le camino
dans un but religieux — nous en avons vu un porter une lourde
croix, ou des marcheurs en quête de spiritualité — un Québécois
très sympathique attiré par le bouddhisme. Vous cheminez un petit
moment avec quelqu’un, vous le perdez, vous le retrouvez quatre
heures plus tard, ou le soir au gîte, ou plus jamais. Et vous
apprenez que les rois d’Aragon ont inventé ce pèlerinage pour
lutter contre les Arabes, qu’à un moment donné, au Moyen Âge, un
homme sur dix marchait sur le chemin de Saint-Jacques, et, venus de
tous les coins d’Europe, beaucoup de pèlerins cheminaient pieds
nus (Le Puy-en-Velay — Saint-Jacques de Compostelle : 1600
km !). Que Louis XIV l’a interdit à cause de la Guerre de
succession d’Espagne. Que depuis deux décennies, il y a un
renouveau considérable du chemin. Que certaines églises, comme
celle de Sainte-Foy à Conques avec les vitraux monochromes de
Soulages, sont des merveilles par leur situation et par leur
architecture. Que les marcheurs sont saturés d’aligot. Que sur la
portion française, on peut faire porter son sac par un service de
taxi…
Si
je parle de ces neuf jours qui furent magnifiques malgré toute la
bondieuserie, c’est que j’ai envie de dire un sentiment fort qui
m’a saisi en marchant : celui de la relativité de mon
quotidien. Je vis dans une grande ville, au milieu de l’agitation
frénétique des nouvelles, des informations, des réflexions, je
rencontre beaucoup de monde, je lis, j’écoute, je regarde, je me
nourris des événements politiques français et étrangers, je prête
attention à l’actualité littéraire, aux spectacles, à la danse
du ventre des peoples
— et là, tout en me concentrant sur le bon équilibre de mon sac à
dos (12 kg, c’est trop, l’âge, que voulez-vous, et de toute
façon), sur mes chaussettes qui ne doivent pas faire de plis, gare
aux ampoules, j’ai regardé l’extraordinaire paysage, sa variété.
Le soleil nous a torturés sur le plateau désertique de l’Aubrac
où paissent des troupeaux en liberté, nous nous sommes rafraîchis
dans une châtaigneraie, nous avons essuyé l’orage dans une forêt
de noyers, de pins… Et sur le chemin étroit et raide qui monte
pendant une heure pour s’élargir au sommet d’une colline d’où
vous voyez les Cévennes, votre cœur bat la chamade, vous avez le
souffle court et vous êtes inondé de sueur. Soudain, je me suis
senti non pas loin mais ailleurs, sur une autre planète. La rare
médiocrité de la vie politique mais aussi intellectuelle, les
non-évènements médiatiques dont on gave notre cerveau, les ego
minuscules dont on nous rebat les oreilles (un présidentelet dit
ceci, un autre dit cela, un ministricule contredit un politicard, une
grève de nantis succède à une manif d’égoïstes) prennent ici
leur vraie place, celle du néant. Il ne s’agit nullement des
phrases fascisantes, « la terre ne ment pas » ou « tous
pourris » — non. Il m’a semblé, en l’espace de quelques
jours, que la vraie vie, la seule possible, était celle-là :
mon corps, la solitude, l’amitié, la réflexion et la nature
alentour. Je sais que ce n’est qu’une illusion, un leurre, que ma
place est dans la cité, que je dois y retourner, compter, acheter,
payer, me nourrir, me loger, me vêtir, écouter, dire, me divertir,
m’ébaudir. Contempler la comédie, voire, en être l’acteur.
Un
jour je le regretterai.
*
Auto-pub,
suite,
en accord — ou en contradiction avec ce qui vient d’être dit.
Je
signerai mon polar/à peine polar sur Malevitch, Cadavres
noirs sur fond rouge
à la librairie
Artcurial au 7
rond-point des Champs-Élysées, Paris 8e,
m° Franklin-Roosevelt, le vendredi 12 décembre à partir de 18 h
30. (Cocktail, m’a-t-on dit !)
adam
biro
décembre
2014
biroadam4(AT)gmail.com
Quand un chemin prend des allures "initiatique", malgré le marcheur...
RépondreSupprimerPardon: "initiatiques" au plur.!
RépondreSupprimerAh les subtilités de la langue écrite...
RépondreSupprimerL'existence précède bien l'essence comme disait l'autre. Moi je dirais, le spirituel passe d'abord par les pieds. D'ailleurs, notre marcheur aurait-il eu ces nobles pensées si par malheur ses chaussettes avaient fait un pli, entraînant des ampoules, causant elle-mêmes des douleurs insupportables ?