Voici le premier d'une série d'articles à paraître dans l'édition hongroise du Monde diplomatique.
Éva Gyarmati-Szabó nous fait l'honneur de s'intéresser aux activités de l'association des Mardis hongrois de Paris. L'article original étant rédigé en hongrois magyardiplo.hu , en voici une traduction en français.
Éva Gyarmati-Szabó nous fait l'honneur de s'intéresser aux activités de l'association des Mardis hongrois de Paris. L'article original étant rédigé en hongrois magyardiplo.hu , en voici une traduction en français.
Par
Éva Gyarmati-Szabó
En
plein centre de Paris, là où converge le plus grand nombre de
lignes de métro, au premier étage de la brasserie Café Bords de
Seine, au 1 place du Châtelet se trouve le lieu de rendez-vous des
Mardis hongrois de Paris, qui existent depuis désormais onze ans.
C'est le point de rendez-vous des Hongrois qui vivent dans la
capitale française ou ses environs, y travaillent depuis des
décennies, ou seulement quelques années, quelques mois ou quelques
semaines, mais également des Hongrois bien informés qui ne sont à
Paris que de passage ou y demeurent pour un temps plus ou moins long.
Sans oublier, il faut le préciser, ceux des représentants d'autres
nations qui sont amoureux de la langue et de la culture hongroise,
les admirateurs des valeurs hongroises. N'importe qui, quel que soit
son âge, son sexe, sa conception du monde, son appartenance
politique peut se rendre au rendez-vous organisé toutes les deux
semaines. Comme leur blog* l'indique, le but est l'échange
d'informations, la conversation magyare, l'exercice de la langue
hongroise qui naturellement se mélange avec le français, puisque
nombreux sont ceux – déjà nés ici – qui arrivent à peine ou
du moins ont du mal à trouver les mots hongrois. Des personnes plus
âgées, de grande expérience, aux destins intéressants, viennent
aussi volontiers aux soirées du mardi que des personnes d'âge moyen
plus concentrées sur leur travail, leurs moyens de subsistance ou
que des membres de générations plus jeunes recherchant actuellement
leurs objectifs de vie.
Dans
la série d'articles qui débute ici, nous allons en faire parler
quelques-uns, en montrant les diverses raisons, situations et
motivations qui conduisent et séduisent quelqu'un de Hongrie vers
l'étranger, singulièrement la France et Paris et cette force
motrice individuelle qui malgré tout leur est commune - quoique se
manifestant différemment – qui les pousse les uns vers les autres
et cela c'est la langue hongroise, la culture hongroise, les racines
communes. En premier lieu nous allons bavarder avec Jean-Pierre
Frommer, le président de ces rencontres qui, depuis, se sont
érigées en association, ou, comme il se présente lui-même, comme
son co-créateur.
Les
Mardis hongrois de Paris est une association mondiale, dont le but
est de réunir les personnes intéressées par la Hongrie, qu'elles
en soient originaires ou non, indépendamment de leurs opinions
philosophiques, politiques ou religieuses. De plus, le but des
rencontres parisiennes est de permettre l'échange d'informations, le
partage des cultures, la prise de connaissance de la culture par la
conversation magyare et toutes autres activités communes. Cette
profession de foi apparaît tant sur leur blog que sur Facebook,
Twitter et autres réseaux sociaux. Pourquoi trouvez-vous si
important de mettre l'accent là-dessus, alors que tant d'autres
organismes hongrois fonctionnant en France font la même chose
beaucoup plus légèrement sans le signaler ?
– Précisément
pour cela ! Parce que dans le monde actuel, où en invoquant des
motifs divers les gens s'éloignent les uns des autres, il est grand
besoin d'associations, de sociétés, de groupes renforçant leur
union. Nous faisons partie de ceux-là, nos visiteurs doivent le
savoir, mais comprendre aussi que les personnes qui veulent afficher
et propager des positions extrémistes mettant en danger notre union
n'ont pas leur place parmi nous.
D'où
a germé l'idée des « Mardis hongrois de Paris » ?
Quand s'est-elle réalisée et qui l'a fait naître ?
-
C'est essentiellement une conception de vie, un sentiment de manque
qui a appelé sa création, un sentiment d'appartenance à quelque
part, je recherchais mes racines – raconte Jean-Pierre Frommer. -
Mes parents ont émigré d'abord en 1934 puis en 1936, au moment de
la grande crise économique mondiale, vers la France, plus
précisément l'Algérie qui était alors colonie française, à la
recherche de nouveaux moyens d'existence et d'un contexte plus
vivable. Mais à chacune de ces deux fois, au bout de quelques mois,
le mal du pays les a ramenés à Budapest. Après la Seconde Guerre
mondiale, à l'époque du grand recommencement, en 1946, ils ont
repris la route de la France et ont posé leurs bagages en 1947 avec
leur petit garçon, mon grand frère. Et moi, j'ai vu le jour déjà
ici en mai. Mes parents qui travaillaient comme tailleur, par leur
dur labeur, nous ont tout procuré pour l'essentiel et c'est ainsi
que j'ai pu aussi accéder à l'université. A la maison nous
parlions toujours hongrois et mes parents se réunissaient avec les
Hongrois qui vivaient à Paris et dans sa région. Tous les dimanches
– si le beau temps le permettait – nous pique-niquions près de
la Marne, à Gournay, les adultes se perdaient dans leurs bavardages,
jouaient aux cartes ou aux échecs et nous, les enfants, nous
jouions, nous faisions du sport. J'y trouvais du plaisir et cela a
renforcé en moi le sentiment d'appartenance. C'est là
essentiellement le modèle qui a prévalu à la création des Mardis
hongrois de Paris. En prenant de l'âge, plus précisément au fil de
mon changement de vie, se renforçait en moi la nostalgie des
anciennes joies de l'agréable vie communautaire.
-
La famille ?
- J'ai
un fils de 43 ans qui s'occupe de logistique, après vingt ans de
mariage j'ai divorcé de ma femme, mais nous sommes restés bons amis
jusqu'à ce jour. Je suis divorcé mais non solitaire, voyez cette
association est ma grande famille. La solitude peut être un grand
moteur, si l'on souhaite trouver une vraie famille. Mon père est
décédé tôt, en 1971, ma mère en 2002, à la suite de quoi,
presque sans arrêt, je recherchais des contacts hongrois, parce que
les contacts hongrois de mes parents avaient disparu, les anciens
amis mourant les uns après les autres et
je n'avais plus personne avec qui parler hongrois. Internet m'a
beaucoup aidé à trouver et développer de nouveaux contacts
hongrois parce que c'est ainsi que j'ai pu connaître nombre
d'organismes et de personnes avec lesquelles j'ai pu ensuite lier des
amitiés pour un grand nombre...
-…
et c'est de là
qu'est née l'association ?
-
Oui, après cela c'est
avec les nouveaux amis que s'est poursuivie l'histoire de la
naissance de notre association, car nous avons commencé à nous
rencontrer aussi personnellement et quelques rencontres plus tard les
amis des amis sont venus, progressivement notre compagnie commençait
à croître. Le mot
« Mardi » s'est trouvé inscrit dans notre nom car c'est
ce jour-là que nous étions le plus nombreux, il s'est révélé que
c'était le meilleur moment pour nous rencontrer. En
définitive, notre
compagnie de quatre, en dehors de moi, Zsuzsa Szabó, la veuve de
l'écrivain Zoltán Szabó, en outre Stephane Serrechia
d'origine italienne, ainsi
que mon ami Alain Dodeler – tous deux adorent la culture hongroise
et les Hongrois – nous avons décidé d'ouvrir nos rencontres à
d'autres. Nous avons constitué les Mardis hongrois de Paris, le 9
septembre 2003 avec quatre sortes de motivations. Moi par exemple, je
compense mes parents, mon chez moi. De la même manière, chacun qui
vient parmi nous a ses
propres
mobiles affectifs
et intellectuels.
Au début nous étions
à peine quelques-uns, aujourd'hui nous sommes environ huit cents.
Évidemment, ne viennent à nos soirées du mardi que ceux qui sont
justement disponibles à ce moment-là. Bon an mal an, nous nous
réunissons en général au maximum à vingt ou trente...
-
Tout de même, est-il
possible de déterminer qui vient ici principalement ?
-
Le plus souvent ont pourra trouver dans nos rangs, sans distinction,
des intellectuels, des artistes, enseignants, médecins, ingénieurs
mais il y a parmi nous des économistes, des sociologues et aussi
plusieurs étudiants d'université ou de grande
école. Il y a un noyau dur d'habitués
mais bien sûr à chaque rencontre on découvre de nouveaux visages.
-
Vous, vous occupiez de quoi ? Quelle est votre profession ?
-
J'ai
acquis des savoirs sur différents champs de connaissance, j'ai par
exemple étudié la philosophie et la sociologie à la Sorbonne, mais
j'ai finalement acquis une qualification d'ingénieur dans les
systèmes d'information au sein du Ministère de l'Écologie – qui
a soutenu mes études jusqu'au bout – et
où
je m'occupais d'urbanisme.
-
En
dehors des soirées présentes, avez-vous d'autres types de
programmes organisés ailleurs ?
-
Oui, nous nous raccrochons à de nombreux programmes organisés par
toutes
sortes d'autres
organismes hongrois,
particulièrement nous
assistons volontiers aux événements de l'Institut
hongrois de Paris, nous
avons même organisé des programmes ensemble. A la faveur du beau
temps nous organisons aussi des pique-niques, également
des rencontres couplées avec des dégustations de plats hongrois,
des festivals de danse, des journées de fêtes diverses. Depuis nos
rencontres amicales informelles jusqu'à la défense du patrimoine
culturel notre spectre d'activités est fort large.
-
Que
signifie la défense des valeurs culturelles dans votre association ?
Et pendant
les onze ans, y a-t-il eu des événements qui pour une raison
quelconque sortent du lot,
qui vous sont apparus très importants ?
-
Dans la vie de notre association, la défense des valeurs culturelles
a eu une période culminante, qui
a commencé il y a plus de sept ans, lorsque nous nous sommes
raccrochés à l'initiative de l'association hongroise Óvás!**.
Nous nous sommes lancés dans la collecte de signatures, nous nous
sommes adressés par pétition à l'UNESCO, au gouvernement hongrois,
aux dirigeants de la capitale, pour la sauvegarde d'Erzsébetváros,
le Quartier juif de Budapest qui fait partie du
Patrimoine
mondial de l'UNESCO. Malheureusement, l'aménagement urbain à
Budapest est de la compétence des arrondissements et non pas de la
capitale comme chez nous à Paris, c'est pourquoi, le VIIème
arrondissement pouvait condamner à la destruction des œuvres
architecturales irremplaçables et planifier des solutions
architecturales « nouvelles » en remplacement des
immeubles de style classiciste, sécession, mettant
ainsi en danger l'aspect du quartier dans
sa totalité.
Nous
étions effarés de voir que les dirigeants du pays ne bougeaient
pas, que Budapest en tant que capitale ne réagissait pas à ces
intrusions barbares contre l'image de la ville, alors que -sous
l'effet renforcé par notre appel – Paris a bougé et avec lui
pratiquement « la moitié du monde ». Cela
nous a étonné nous-mêmes de constater l'importance dans de larges
sphères de l'écho et de l'indignation que ces faits ont produit en
France et même au-delà. Un
nombre important de signatures nous sont parvenues de Français
vivant à Budapest et de Hongrois, de Berlin, de Milan,
d'Amsterdam, de Bruxelles, de Genève, de plusieurs villes des
États-Unis et du Canada aussi. La
pétition a été signée par plusieurs maires d'arrondissements
parisiens et un
membre
de la Commission du Vieux Paris, des
architectes de l’État et des experts en urbanisme, des historiens,
des personnalités françaises et hongroises de renom, parmi eux (peu
de temps avant sa mort) François Fejtö ainsi que Tibor Méray. Nous
avons créé un blog** spécifique pour rendre public notre combat
commun. En
France, Le Monde, parmi d'autres, a enfourché le sujet, en publiant
mon article qui lui était relatif***, Direct Matin et Courrier
International s'en sont aussi fait l'écho, et de plus, des pages web
et des radios ont suivi. En Hongrie, Élet és Irodalom (Vie et
littérature) entre autres, a réalisé une grande interview avec
moi**** ainsi que Radio Kossuth. Après avoir missionné son expert,
le
comité
ad hoc de l'UNESCO a émis des recommandations à l'État hongrois,
qui si elles ne sont pas respectées, pourraient entraîner des
sanctions...
-
Cela
a-t-il donné des résultats ? Et quels sont les derniers
développements ?
-
Le Comité du Patrimoine de l'UNESCO, lors de sa session de l'été
2013 a réclamé qu'un moratoire soit décrété sur tout changement
dans la zone tampon des territoires inclus dans le Patrimoine
mondial, parmi ceux-ci prioritairement le Quartier juif, jusqu'à ce
qu'une protection et une réglementation satisfaisantes aient
été instaurées. Depuis, deux ans se sont écoulés mais
le moratoire sur les changements n'a pas été édicté par la partie
hongroise. L'Institut hongrois de Paris, il
y a un peu plus d'un an, - à l'initiative de l'association Óvás!
- a
organisé une série d'événements sur le thème « Quel avenir
pour le Quartier juif de Budapest ? » avec des expositions
de photos, des
projections de documentaires et une table ronde autant d'événements
auxquels nous avons collaboré.
-
Globalement
comment évaluez-vous votre engagement
pour la sauvegarde de valeurs culturelles ? Et quelles
seront les
suites ?
-
Finalement, même
si
nous n'avons pas pu empêcher toutes
les destructions, en tant que principal soutien à l'étranger de
l'association Óvás !
nous avons réussi à faire obstacle à la totale destruction. C'est
à ce moment-là que j'ai senti à quel point l'union fait la force.
Nous
avons réussi à sauver presque 30 immeubles, mais hélas, les
destructions se poursuivent, certes par d'autres moyens. C'est
pourquoi nous gardons un « œil vigilant » sur
Budapest, sur le Quartier juif, car faisant partie du Patrimoine
mondial, il appartient aussi bien aux Budapestois, qu'à la Hongrie,
qu'aux habitants des autres pays – il est donc aussi nôtre, il
nous appartient à tous. C'est
pourquoi notre tâche de défense des valeurs culturelles est
permanente
*********
Beaucoup
de sortes d'organisations hongroises fonctionnent en France avec des
buts différents. Par exemple, l'une
des plus importantes
est Párizsi Magyarok
(Hongrois de Paris) qui
a environ deux mille membres, un autre, Párizsi Magyar Közösség
(La communauté hongroise de Paris) qui en compte environ mille. Ces
deux groupes existent sur Facebook et beaucoup de membres
appartiennent simultanément aux deux, mais – selon nos
informations -peu d'entre eux se rencontrent dans la vraie vie et pas
souvent. Il y a aussi la communauté Magyarok Dél-Franciaországban
(Hongrois du sud de la France) et notre groupement d'environ huit
cents personnes. Sur le modèle des Mardis hongrois de Paris quelques
organisations similaires ont vu le jour comme les Mardis hongrois de
Montpellier et les Mardis hongrois de Lyon, et il en existe même à
l'étranger, l'un à Helsinki (Unkarilaiset Tiistait) et l'autre à
Berlin (Hungarische Dienstage). Nous n'avons pas de rapport
organisationnel avec ces associations, mais
en fait, à
ces quatre endroits, ce sont d'anciens participants des Mardis
hongrois de Paris qui les ont fait naître. Bien sûr en dehors de
cela il existe différents groupes amicaux franco-hongrois ou
hungaro-français de nature professionnelle, artistique et d'autres
profils culturels, ou d'autres groupements associatifs organisés sur
d'autres bases (par exemple confessionnelles, ou à contenu
politique).
************
Les
jeunes et les étrangers ont cependant découvert, dans sa
déliquescence le Quartier juif, l'ambiance particulière de ses
rues, de ses maisons, de ses jardins, de ses cours, ainsi que son
passé et sa magie. L'ancien Quartier juif, à peine connu il y a
encore dix ans, est devenu aujourd'hui l'un des endroits les plus
visités de la ville. L'une des raisons évidentes en est
l'incroyable popularité dans les cercles de la jeunesse hongroise et
étrangère des bars en ruine (romkocsma) qui se sont installés dans
les immeubles classés, restés vides depuis de longues années,
leurs cours, leurs jardins, sauvés depuis 2004. En même temps, cela
représente une charge insupportable pour les habitants qui y vivent.
(…)
De manière très sporadique et seulement à un ou deux endroits, la
réhabilitation des immeubles anciens a néanmoins commencé et,
uniquement à un endroit, avec le soutien de l'Union européenne, une
partie des immeubles de la section de rue faisant face à la
synagogue orthodoxe de la rue Kazinczy a été rénovée et à côté
de cela quelques rues ont reçu un nouveau revêtement.
(Détails dans l'interview du 25/02/2008 parue dans Élet és
irodalom)
Références :
**
– Óvás! Association
hongroise créée en 2004
pour
la défense de l'héritage culturel de l'ancien Quartier juif de
Budapest
www.ovasegyesulet.hu
**–
Blog
français pour la défense du Quartier juif de Budapest
htt p://sauvezbudapest.hautetfort.com/
htt p://sauvezbudapest.hautetfort.com/
***
– L'article
de Jean-Pierre
Frommer dans
Le
Mondehttp://www.lemonde.fr/idees/article/2008/01/23/halte-a-la-destruction-du-quartier-juif-de-budapest-par-jean-pierre-frommer_1002676_3232.html
****
– Interview
de
Jean-Pierre Frommer dans
Élet és Irodalom
http://www.es.hu/cserba_julia;potolhatatlan_europai_ertek_sorsa_forog_kockan;2008-02-25.html
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