"L’exemplaire de Ein Kind unserer Zeit (Un fils de notre temps) que j’ai emprunté à ma bibliothèque préférée – celle des langues étrangères, à Budapest – est une édition dtv de 1968, entrée au catalogue de la bibliothèque au plus tard en juillet 1984. Un beau tampon aux couleurs un peu passées et portant l’ancien nom socialiste de la bibliothèque, l’Állami Gorkij Könyvtár (bibliothèque d’Etat Gorki) orne la toute première page, avec son étoile à cinq branches juchée au-dessus des deux gerbes de blé entourant les trois bandes de couleur du drapeau hongrois. Au bas de la dernière page, juste en dessous des derniers mots de l’éloge funèbre de Carl Zuckmayer à l’écrivain tout juste décédé (1938), qui font office de postface, un deuxième tampon a été apposé, comme si le ou la bibliothécaire avait voulu indiquer son satisfecit officiel avant de mettre le livre entre les mains des lecteurs. Ce serait amusant de penser qu’entre le tampon de la première et celui de la dernière page le ou la bibliothécaire avait aussi lu le texte – avec un bon niveau d’allemand et pas d’interruptions, c’est l’affaire de quelques heures – et j’aime bien me l’imaginer, le menton dans la paume et le tampon comme une cigarette entre les doigts, en train de tourner les pages de cette nouvelle acquisition, jusqu’à la dernière, et là, un bon coup de tampon et au suivant.
C’est
un autre type de marque qu’a laissé un autre (vrai) lecteur ou une
autre (vraie) lectrice à l’intérieur du livre. Depuis la première phrase
(« Ich bin Soldat ») jusqu’à la dernière (« er war eben ein Kind seiner
Zeit »), le livre est impitoyablement parsemé de soulignements
verticaux dans la marge et horizontaux entre les lignes, de cercles et
de rectangles et d’annotations visant à faire ressortir certains mots,
expressions, phrases, paragraphes. En regardant ces mots et ces phrases
que cette lectrice – le graphisme me fait penser que c’est sûrement une
lectrice – si attentive et irrespectueuse a sélectionnées, j’essaie de
me représenter le fil de sa pensée, le pourquoi de tel mot ou phrase
plutôt que tel autre, mais en vain. Sauf à un moment, page 110, vers le
début du chapitre « Anna, die Soldatenbraut », lorsqu’apparait cette
phrase : Qui suis-je donc ? Au lieu du simple trait au crayon plus ou moins émoussé,
la phrase a été soulignée trois fois, de manière un peu appuyée, comme
si cette lectrice pensait avoir mis le doigt sur le point central du
livre. J’ai un peu envie de lui donner raison." La suite sur passagealest.wordpress.com

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