vendredi 6 mai 2016

Le mot de l’Ambassadeur A propos de la « démocratie illibérale »

Les derniers mots de l’édito du Monde daté du jeudi 5 mai 2016 me donnent l’occasion de revenir sur le concept de « démocratie illibérale » qui fait depuis bientôt deux ans les choux gras de la presse. Cette expression, dont l’origine est attribuée au premier ministre hongrois Viktor Orbán (son discours du 26 juillet 2014) est régulièrement instrumentalisée pour flétrir des gouvernements qui, en substance, auraient « renié toutes les valeurs sur lesquelles sont fondées nos démocraties ». C’est une grave erreur. En premier lieu, il convient de ne pas confondre le concept de démocratie, qui est un système de gouvernement, et celui de libéralisme, qui est un système de valeurs. Le premier donne le cadre, le second, le contenu. Le premier est donné, le second s’interprète. En second lieu, le propos de M. Orbán n’était évidemment pas de se démarquer des grandes libertés publiques, qui restent bien évidemment le fondement de nos démocraties. Des milliers de Hongrois sont morts pour cela, en 1848, en 1956. Il l’a d’ailleurs expressément dit dans son discours, mais ce détail a échappé à la plupart des commentateurs. Bien au contraire, il souhaitait expliquer qu’à l’instar des autres grands concepts, « trop de libéralisme tue le libéralisme ». Autrement dit, que toute valeur poussée jusqu’à l’excès risque de tuer la valeur elle-même. Il est courant de dire que ma liberté s’arrête là où commence celle de l’autre. C’est correct, mais insuffisant. Je cite M. Orbán : « Le point de départ de l’organisation libérale de la société du point de vue des relations entre deux individus se base sur le principe que tout ce qui ne porte pas atteinte à la liberté d’autrui est permis. C’est sur ces principes que se sont bâties les vingt années de la vie hongroise d’avant 2010, qui n’était autre, du reste, que l’acceptation du principe général en vigueur en Europe Occidentale. Mais nous avons eu besoin de vingt ans pour en arriver à identifier en Hongrie la véritable nature du problème, à savoir que si c’est là en soi une idée éminemment attrayante, l’on ne sait en revanche absolument pas qui va dire à partir de quand quelque chose porte atteinte à ma liberté. Et puisque cela ne va pas de soi, il faut bien que quelqu’un le détermine et le décide. Et puisque personne n’a été désigné pour le faire, nous avons constaté jour après jour, dans la vie quotidienne, que c’est le plus fort qui finit par décider. Nous avons constaté, jour après jour, que c’est le plus faible qui se fait marcher dessus. Les conflits liés à la reconnaissance mutuelle de la liberté de chacun ne se règlent en effet pas sur la base d’un quelconque principe abstrait d’équité ou de justice, car dans les faits c’est toujours le plus fort qui a raison. » L’on est bien loin du rejet des « valeurs libérales de nos sociétés démocratiques », l’on est bien plutôt dans une démarche visant à les préserver. L’intervention de l’Etat pour déterminer – dans le respect des grandes libertés publiques – où commence la liberté de chacun et où elle s’arrête est une obligation de gouvernance. C’est cela que M. Orbán a voulu faire toucher du doigt, pas autre chose. La Constitution hongroise (article IX, alinéa 5) fixe par exemple une limite à la liberté d’expression : celle à partir de laquelle il est porté atteinte au légitime sentiment de liberté – c’est à dire à la sensibilité – de certaines communautés : c’est sur cette base juridique qu’il est aujourd’hui possible d’interdire le discours de haine en Hongrie. Ce n’est pas pour cela que les libertés y sont « bafouées », bien au contraire. Plutôt que de « démocratie illibérale », il conviendrait de parler de « démocratie libérée de tous les excès qui risquent de la dénaturer ». Question de sémantique peut-être, mais question fondamentale aussi. Peut-être sera-t-elle accueillie avec davantage de compréhension ?
Georges Károlyi
Source : la page Facebook de l'Ambassade de Hongrie en France

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