lundi 1 octobre 2012

SI J’ÉTAIS ROI par Adam Biro

Si j’étais le roi d’un petit pays pauvre sans ressources naturelles particulières, isolé par sa langue, d’un pays qui a souffert de toutes les guerres perdues, qui a été, pendant des siècles, occupé, humilié et appauvri par des puissances étrangères avec la complicité de ses classes dirigeantes, et parfois avec le silence de la majorité de la population —
si j’étais le roi (autoritaire, tyrannique) de ce pays malheureux,
je ferais tout pour que mes sujets cessent de dire « on ne peut pas vivre dans un pays où tout le monde déteste tout le monde ». Je ferais en sorte que les jeunes aiment ce pays et qu’ils aient envie d’y rester, parce que nous aurions la meilleure équipe de football du monde.
J’établirais des relations très étroites et amicales avec mes voisins, tous mes voisins, dans la dignité et l’égalité, sans devenir ni leur obligé, ni leur vassal. Je reconnaîtrais leurs frontières et j’abandonnerais toute revendication territoriale contre eux.
Je cesserais de ressasser les vieilles rancœurs, les vieilles injustices, les vieilles querelles, mes vieilles défaites, pleurer sur le service de porcelaine de la tante Irène et les vieux traités même injustes pour établir de nouvelles bases de coopération à l’extérieur.
Pour ce faire, je financerais un institut de recherche scientifique qui étudierait et mettrait à plat les injustices et les cruautés que les rois précédents ont fait subir à leurs voisins et à certaines catégories de leurs propres sujets dont les enfants continuent à vivre dans mon pays.
Je ferais publiquement amende honorable au nom du pays devant toutes les catégories de citoyens bafoués, maltraités par le passé.
J’interdirais toute publication ou émission radio ou TV incitant à la haine ou à l’exclusion, car je pense que ma liberté — aussi celle de la presse, et même si je suis roi — s’arrête là où commence celle de mon voisin, et j’empêcherais d’agir, s’il le faut par cassage de gueules, tout groupe paramilitaire prêchant la haine et semant la terreur.
Je laisserais à une commission indépendante qui n’aurait de compte à rendre qu’au public, et surtout pas à moi, de choisir, sur la base de la seule compétence professionnelle, les responsables des chaînes de TV et de radios nationales. Je réaliserais personnellement une série consacrée aux diverses méthodes de conservation des cornichons (notamment au levain dont je raffole).
Je veillerais à la totale indépendance de la justice vis-à-vis du parlement, du gouvernement, des partis — et de moi.
Je m’accrocherais de toutes mes forces à tous les groupements et toutes les unions géographiques dont je pourrais faire partie, étant persuadé que mon petit pays n’a aucune chance de pouvoir affronter l’avenir seul, et pour éviter qu’il devienne un musée, un parc d’attraction, un noman’s land ou le satellite d’un autre avant la fin du siècle.
J’aiderais, voire je chérirais toutes les minorités linguistiques, religieuses ou ethniques de mon royaume, et j’ordonnerais que le terme même de « minorité » disparaisse. Tout le monde serait simple citoyen, sans distinction.
Je me tournerais résolument vers l’avenir, sans pour autant oublier le passé. Mais je ne m’appuierais jamais sur un passé mythique et falsifié pour créer de toutes pièces une communauté nationale et nationaliste ethnique factice, haineuse, sans aucune base sérieuse.
Je consacrerais une grosse partie de mon trésor à l’éducation, en privilégiant les langues et en développant la recherche et les nouvelles technologies propres, qui ne demandent ni une grosse population, ni des territoires étendus, ni d’autres ressources qu’humaines et intellectuelles. Une commission, dirigée par moi, prendrait les mensurations des cent plus belles filles du pays pour voir si elles ont les qualités requises pour faire des études de physique quantique.
J’investirais largement dans la culture sous toutes ses formes et dans les représentations culturelles de mon pays à l’étranger, car cet investissement n’est pas lourd face à d’autres dépenses, et l’image et le poids de mon royaume dans le monde s’en trouveraient renforcés et magnifiés à peu de frais.
Et j’inscrirais parmi mes priorités la défense de l’environnement et l’écologie, car j’aurais beau mettre en route tout ce que je veux si la vie sur Terre devient impossible.
Et dans un geste ultime et auguste, je libérerais tous les animaux des zoos, depuis l’aoûtat jusqu’à l’éléphant, en passant par le chacal, le tigre, la belette et le petit lapin.
Mais rassurez-vous. Je n’ai aucune envie de devenir roi. Ils finissent souvent mal.

Adam Biro
octobre 2012
biroadam4(AT)gmail.com


2 commentaires:

  1. Vive Adam BiRoi, et à bas UbuRoi qui veut s'installer dans la Galerie Nationale (Nemzeti Galéria)!

    RépondreSupprimer
  2. Bonjour Alfred et merci à vous d'apporter cette pertinente contribution.

    RépondreSupprimer

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.