lundi 17 novembre 2014

Entretien avec Kornél Mundruczó réalisateur de White God (en salles à partir du 3 décembre 2014)

Que signifie le titre du film ? Qui est ce « WHITE GOD » (Dieu blanc) ?
Pour le chien, son maître est un dieu. J’ai toujours été très intrigué par les caractéristiques de Dieu dont l’image évoque bonté et tolérance. Dieu est-il blanc ? C’est ainsi qu’on le représente la plupart du temps... Pourtant, l’homme blanc a maintes fois prouvé qu’il était seulement capable de dominer et de coloniser. L’association de ces deux mots dans le titre est donc à mon sens empreinte de contradictions, c’est pourquoi je l’ai trouvée intéressante.

Le titre de votre film fait immanquablement penser au WHITE DOG de Samuel Fuller (ressorti en salles en France il y a quelques mois, sous le titre DRESSÉ POUR TUER ). Est-ce volontaire ?
Malheureusement, je n’ai découvert le film de Fuller que récemment. Cela dit, je l’ai toujours considéré comme un très grand artiste. J’adore la façon dont il manie le film de genre et je suis très sensible à son approche de la société contemporaine. Mais concernant WHITE GOD, c’est plutôt chez Coetzee que j’en ai puisé la source et construit l’identité.

WHITE GOD est très différent de vos œuvres antérieures. Pouvez-vous expliquer ce qui vous a donné envie de le faire ?
Après dix années passées derrière la caméra, j’avais l’impression d’être arrivé à la fin d’un cycle. En fait, TENDER SON : THE FRANKENSTEIN PROJECT est venu clore un chapitre de ma vie de cinéaste. J’ai eu envie d’expérimenter de nouveaux genres cinématographiques. WHITE GOD est un mélange d’aventure, de vengeance, de révolte et d’héroïsme, mais il s’inspire aussi des rapports sociaux absurdes, de plus en plus acrimonieux, que nous connaissons aujourd’hui. Dans l’univers en décomposition qu’est devenue l’Europe de l’Est, la vie ressemble à un soap-opera pour les uns et à un thriller pour les autres. Ces genres alternent dans la réalité aussi facilement que lorsque nous  changeons de chaîne sur notre poste de télévision. Parallèlement aux avantages discutables octroyés à certains par la mondialisation, je pense qu’un système de castes se dessine de plus en plus clairement : la supériorité est vraiment devenue l’apanage de la civilisation blanche occidentale et il est presque impossible pour nous de ne pas en abuser. Je voulais que le film offre un aperçu des passions faisant rage dans l’autre camp, et qu’il critique notre assurance détestable, pleine de mensonges et de contrevérités destinés à asservir les minorités faute de pouvoir les détruire, et notre tendance à nier les
inégalités de façon hypocrite, sans vraiment croire à la paix ni à la cohabitation pacifique.

Vous avez sciemment choisi de mêler des stéréotypes associés au mélodrame, au film d’aventure et au film de vengeance ?
Il ne s’agissait pas vraiment de les mélanger, mais plutôt de les réinterpréter. J’ai pensé qu’aligner plusieurs genres au service d’une même idée directrice serait un défi intéressant à relever. Est-il possible d’utiliser des stéréotypes pour véhiculer de véritables idées ? Parfois, les niveaux de lecture sont si proches qu’ils s’interpénètrent. Mais tous ces éléments nécessitent une idée principale pour être reliés de façon cohérente, celle des minorités opprimées.

Pourquoi avoir choisi de tourner avec des animaux plutôt que des hommes pour illustrer cette idée directrice ?
Je voulais aborder ce sujet en toute liberté, avec le moins d’entraves et de tabous possible. Il est toujours difficile de trouver le moyen de décrire des vérités intemporelles de façon originale. Découvrir les écrits de J. M. Coetzee a été une expérience révélatrice à cet égard. Ses œuvres attirent l’attention sur le fait qu’il existe une couche encore inférieure à nos plus grands exclus, une autre espèce composée d’êtres intelligents et rationnels, exploités de bien des façons par les humains : les animaux. Je raconte donc l’histoire d’animaux qui étaient autrefois les meilleurs amis de l’homme, mais dont l’espèce se trouve aujourd’hui déclassée. L’homme les a trahis et à leur tour ils se retournent contre leurs anciens maîtres et compagnons pour redonner un sens à leur existence. L’homme et l’animal partagent le même monde. Ce n’est qu’en nous mettant à la place d’espèces différentes que nous aurons une chance de déposer les armes. Cela dit, un de mes personnages principaux est une jeune fille au seuil de l’adolescence, contrainte de perdre son innocence de la même façon que les chiens perdent la leur. C’est une histoire en miroir, dans laquelle une partie de l’intrigue ne peut exister sans l’autre.

Comment s’est passé le travail avec les chiens ?

C’était une expérience thérapeutique. La tâche était inédite, même pour les dresseurs et les techniciens les plus expérimentés. Personne n’avait jamais tourné un film avec 250 chiens. Il a fallu nous adapter aux chiens et non l’inverse. Cela exigeait une forme différente d’attention et de présence de la part des acteurs. Chaque scène devait rester un jeu et ne générer aucune douleur chez les animaux. Le film est un parfait exemple de coopération singulière entre deux espèces. Cette expérience nous a aussi mis du baume au cœur, car les chiens venaient tous de refuges, et ils ont tous trouvé un foyer d’adoption à la fin du tournage.

Le contexte politique actuel en Hongrie vous a-t-il influencé ?
Le film est la critique d’une Hongrie dans laquelle une mince couche de la société dirige une grande part de la population. C’est également de plus en plus le cas ailleurs en Europe. Un petit groupe issu de l’élite se réserve le droit de régner pendant que les politiciens, comme dans un programme de téléréalité politique, passent pour des vedettes à qui nous accordons nos votes à tour de rôle. Ces tendances sont très dangereuses. Si nous n’y prenons pas garde, un jour les masses se soulèveront.

Quel visage de Budapest désiriez-vous montrer ?
Je devais me débarrasser des clichés mélancoliques sur les pays de l’Est après l’ère soviétique qui ont caractérisé nos films ces dernières décennies. L’Europe de l’Est est plongée dans le chaos, le changement perpétuel et l’instabilité. Il est impossible de prévoir quoi que ce soit. J’ai cherché des espaces et des images pour représenter cette réalité. J’ai tenté de créer un nouveau Budapest, qui exprime un rapport actuel à l’histoire de la ville.

Les mouvements de caméra et la photographie ont également changé si l’on se réfère à vos films précédents...
Sur WHITE GOD , j’ai travaillé avec un jeune directeur de la photographie, Marcell Rév. Les images ont pour lui une signification différente de celle de ma génération. En outre, je voulais raconter ce grand conte de fées en y insufflant beaucoup d’éléments du réel. Mais ce choix n’était pas seulement de notre fait : à cause du comportement imprévisible des chiens, nous n’avions pas une idée des scènes aussi précise que d’habitude, avant de les tourner. Il fallait nous adapter à tout moment.

Quelles émotions aimeriez-vous susciter chez le spectateur qui regarde votre film ?

Il me semble que le spectateur confronté à la trahison et à l’amitié ne peut que prendre parti pour Hagen et Lili. Hagen parce qu’il se défend, Lili parce qu’elle est une jeune fille courageuse au cœur pur. Elle a assez de cran pour ne pas se conformer à la norme... notre norme, celle instaurée par nos parents. Lili a le courage de se rebeller, de tenir tête et de déposer les armes, au péril de sa vie.

Comment avez-vous trouvé Zsofia Psotta qui joue Lili ? Comment a-t-elle vécu le tournage et plus particulièrement les scènes avec les chiens ?
Nous avons organisé un casting dans une école hongroise lambda et avons vu plus de 1500 adolescents. Zsofia est très vite sortie du lot comme la plus prometteuse de tous, et l’a confirmé pendant le tournage. J’avais déjà travaillé avec des jeunes totalement inexpérimentés dans le domaine du jeu, mais c’est la première fois que j’ai le sentiment que mon choix s’est porté sur une personne qui en fera son métier. Bien sûr, elle a adoré tourner, et elle est tombée amoureuse des chiens, un peu comme nous tous.

Pourquoi avez-vous choisi la Rhapsodie hongroise n°2 de Liszt comme l’un des principaux thèmes musicaux du film ?
Je cherchais une musique qui soit emblématique de la Hongrie, mais qui exprime aussi quelque chose d’obsolète. Dans le film, un chef d’orchestre désabusé oblige des enfants à jouer ce morceau. Cette scène est juxtaposée à la fureur des chiens, une fureur en lien direct avec la vérité de cette rhapsodie. Mais j’étais aussi obsédé par la vision d’une jeune fille jouant de la trompette et capable, comme dans les contes de fées, de comprendre les animaux.

Les quarante dernières minutes du film comportent des images particulièrement fortes...

Ce sont les moments où les masses se révoltent, la grande peur actuelle des pays européens. Et ils ont raison d’avoir peur. Je cherchais des images emblématiques pour représenter cela. C’est ce qui nous attend si nous persistons à refuser de comprendre les autres espèces, nos adversaires ou les minorités. Ce n’est qu’en nous mettant à leur place que nous aurons une chance de déposer les armes.

Biographie du réalisateur
Kornél Mundruczó est né en Hongrie en 1975. PLEASANT DAYS, son premier long métrage, a reçu le Léopard d’argent à Locarno en 2002. Son deuxième long métrage, JOHANNA – une adaptation de l’opéra filmique de l’histoire de Jeanne d’Arc – a été sélectionné au festival de Cannes dans la section Un Certain Regard en 2005. DELTA a été présenté en compétition au Festival de Cannes en 2008 et a reçu le Prix FIPRESCI. En 2010, TENDER SON – THE FRANKENSTEIN PROJECT a également été présenté à Cannes en compétition.

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