Les réflexions à chaud de l’écrivaine franco-hongroise, quelques jours après le début de l’offensive russe en Ukraine.
Budapest, le 27 février 2022
Vous ne m’avez rien demandé mais je vous raconte quand même à quoi ça ressemble vu de Budapest, où depuis jeudi matin il m’est impossible de penser à autre chose.
Il y a eu d’abord le choc, je m’attendais à cette guerre mais pas si vite et pas sous cette forme, quelle forme, je ne sais pas exactement, cette forme implacable et totale qui ne laisse aucune chance à l’Ukraine, qui en tout cas jeudi paraissait ne lui laisser aucune chance (je suis un peu plus optimiste ce soir, même si je sais que demain matin, Kiev sera peut-être tombée, et Zelensky mort ou capturé).
Ensuite, comme beaucoup d’entre nous, je dis nous pour la Hongrie, en France je ne me rends pas compte, j’ai traversé une crise d’angoisse de guerre mondiale, mais ça a été vite plié, je suis passée en quelques heures de « au secours ma cave est beaucoup trop encombrée pour faire un abri digne de ce nom » à la sereine conclusion que bon, en cas d’attaque nucléaire, ma cave, de toute manière, se transformera en luxueux cratère d’accueil pour cafards et blattes.Pleurer de rage et de honte
En parallèle, il y a aussi eu cet étrange état émotionnel, qui m’a rappelé la France de 2015, où à cause de l’identification (j’aurais pu être au Bataclan/j’aurais pu être ukrainienne) j’ai pensé, dans un piteux mélange de soulagement et de peur, à la fois « ouf pour l’instant je suis en sécurité » et « qui sait si la prochaine fois, ce ne sera pas nous ». Soyons clairs, ce ne sont pas des pensées rationnelles, mais c’est justement pour cela que je fais le parallèle, car face au terrorisme aussi, les pensées rationnelles ont tendance à se barrer très loin.
Mais
ce qui m’ébranle profondément, ce qui me fait pleurer de rage et de
honte, ce qui me pousse à retourner, encore et encore, vers la lecture
compulsive de la presse, sorte de biberon toxique dont je ne peux plus
me passer, c’est l’impression que nous, c’est-à-dire a minima l’Union
européenne, sommes en train de regarder, les bras croisés, un petit se
faisant tabasser par un grand dans la cour, et que si nous ne bougeons
pas, c’est parce que nous savons que le grand a un flingue et qu’en cas
d’intervention, ça va virer à l’affrontement généralisé. Il me semble
que c’est exactement à cet endroit que s’entrechoquent utilitarisme
(maximisation du bonheur collectif) et déontologie (il existe des
actions moralement bonnes ou mauvaises par définition), car oui, éviter
une guerre mondiale sert probablement l’intérêt du plus grand nombre et
c’est sur cet autel-là que nous sacrifions l’Ukraine." La suite sur lemonde.fr (article payant)
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