"Dans « Aux éternels perdants », Andrew Szepessy sonde l’âme des prisonniers dans un roman envoûtant, assemblage de récits oscillant entre satire et conte.
Par Adrienne Boutang(Collaboratrice du « Monde des livres »)
Œuvre étrange rédigée par un homme énigmatique, Aux éternels perdants offre à la curiosité de ses lecteurs un roman bigarré et envoûtant. On sait peu de choses d’Andrew Szepessy, cinéaste et scénariste, né en Angleterre en 1940 de réfugiés hongrois fuyant l’avancée nazie. Peu de choses hormis cette parenthèse obscure dont est tiré le livre, unique roman de son auteur : douze mois d’emprisonnement en Hongrie dans les années 1960.
Cette plongée dans les arcanes d’un système pénitentiaire est livrée sans préambule et sans contexte, avec la précision inexorable d’un mauvais rêve. Comme le héros, le lecteur fait l’expérience du basculement dans un monde où repères, certitudes et droits fondamentaux sont soudain dissous sous l’effet d’invisibles et toutes-puissantes Autorités.Sévices inventifs
Pourtant, la singularité du texte, assemblage de récits entre satire et conte, tient à la délicatesse avec laquelle est décrite la dureté de cette expérience carcérale. On retiendra, ainsi, la poésie du premier récit, où les parfums d’une nuit d’été s’infiltrent dans les cellules étouffantes – « Chaque fenêtre s’ouvre sur des effluves enivrants, parfums d’acacia, de jasmin, de foin fraîchement coupé, de citronniers épanouis. » Ces effluves enchanteurs voisinent avec la puanteur âcre des seaux d’urine empuantissant les cloaques ou les sévices inventifs que s’infligent les prisonniers dans l’espoir de filer à l’infirmerie.
L’expérience intime, racontée avec l’humour noir propre aux peuples martyrs, s’ouvre en grand sur l’histoire. Les « éternels perdants », ce sont les Magyars, « ces aventuriers ayant poussé le plus loin à l’Ouest parmi les peuples de l’ancienne Horde [qui] avaient inopinément rallié la chrétienté il y a plus de mille ans (…) et accumulé une longue expérience de la vie en tant qu’éternels perdants ». Mais aussi tous les autres échoués de l’histoire, peuples disparus ou désancrés, Gitans contraints à la plus oppressante des sédentarités, Germano-Hongrois égarés incongrûment nostalgiques du Führer. Le récit retrace ainsi des frontières disparues et des nations effacées de la carte, membres amputés, fantômes dont ne restent que des traces onomastiques obscures « en Transylvanie, ou dans ce qu’on appelle aujourd’hui la Slovaquie, ou juste derrière ce qui était alors la frontière soviétique, ou encore en Voïvodie »." La suite sur lemonde.fr (article payant)
« Aux éternels perdants » (Epitaphs for Underdogs), d’Andrew Szepessy, traduit de l’anglais par Bernard Cohen, Rivages, 318 p., 21,50 €, numérique 16 €.
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