mercredi 10 mars 2021

Gizella Hervay, poète - Par Yvette Goldberger-Joselzon

Yvette Goldberger-Joselzon s'adresse au Club de lecture d'écrivains hongrois (traduits en français ),  de Toulouse

Je voudrais vous parler d’une découverte que je dois à Ágnes Horváth, qui depuis Budapest m’a signalé l’existence d’un recueil de poèmes traduits du hongrois et publié en France en février 2021, par ses amis Zsófia Szatmári et Jean-François Puff, aux éditions L’Usage, qu’ils ont fondée. Je connais mal la poésie hongroise, dont j’avoue craindre parfois les traductions, et je n’avais jamais entendu parler de cette poète, Gizella Hervay (1934-1982). Pourtant dès la première page de « phrases élémentaires » (en hongrois : Tőmondatok)  j’ai été saisie par la puissance de sa langue, servie par une traduction à la fois fidèle, précise et inventive. Dans leur postface les traducteurs tracent les vecteurs essentiels de sa vie et de son écriture, et nous apprennent qu’elle est née dans la région de Szeged près de la frontière roumaine, puis après la séparation de ses parents, de sept à douze ans elle a vécu chez différents membres de sa famille à Budapest. Par la suite, en 1946, « franchissant les frontières tracées par l’Histoire », elle a rejoint sa mère dans le Nord-Ouest de la Roumanie, et la minorité magyarophone. A la seule lecture de ces poèmes publiés en 1968, marqués par la séparation, la guerre, la dictature de Ceausescu, mais aussi la passion amoureuse, on prend la mesure de la dureté de sa vie qu’elle traduit directement dans une écriture sans concession, radicale, ne s’embarrassant pas de métaphores. Pas de complaisance, ni envers elle-même, ni envers le lecteur, pas la moindre recherche de séduction, ni d’abandon à la facilité. « Hervay ne croit pas en la poésie, ce qui signifierait encore un objet extérieur : la poésie est consubstantielle à sa vie… », écrivent ses traducteurs.

Moi, j’arrache pour moi-même des lambeaux de liberté.

Rien ne m’a été d’abord donné.

Pays natal, patrie, il m’a fallu tout trouver pour moi-même,

quand d’autres y sont nés.

………..

Ce livre n’est pas un livre.

Mais l’unique possibilité, à présent,

de créer ma liberté,

et  d’en goûter toutes les saveurs….   (extrait de Préface)

Sa recherche, son combat pour le mot juste et percutant, toujours sur le tranchant de la vie et du langage, condense émotion, lucidité douloureuse  et vigilance sans repos. La violence qui s’en dégage ne cherche pas à dissimuler son consentement pudique à une sensibilité en permanence exposée. Chacun de ses poèmes mérite la lecture.

Il est difficile d’extraire des fragments de « phrases élémentaires » sans l’appauvrir, mais je vous en livre un ou deux poèmes :

Alourdi

La chance m’a laissée de côté,

mon sort je n’ai jamais pu le choisir,

je n’ai pu ni trouver refuge en prison,

ni reconnaître mes ancêtres.

 

J’accepte un sort que je n’ai pas voulu.

Me sont restés trois collines,

un tournesol, un seul amour,

mon ciel n’a plus d’oiseau.

 

Mon oiseau se tait, il mange de la terre,

devenu lourd, il baisse l’aile.

Je m’assois près de lui. Son cœur ailé,

il le cache dans mon sort immuable.  

 
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Au-delà de l’humain l’existence

n’a pas de mur qui la protège.

Se construisent et se défont

l’horreur et la beauté.

Arraches-en ce qui peut

être une réponse,

donne au cri strident

forme de mot humain.  (extrait de Le cinquième mur)  
 

Voilà une faible idée de ce recueil de 120 pages, qui m’a particulièrement touchée, et m’a donné envie de mieux connaître Gizella Hervay. J’apprécie le choix hardi de ses éditeurs. Si vous aimez comme moi l’authenticité de cette écriture puissante et sensible sans la moindre sophistication, vous pourrez le trouver ou le commander en librairie, ou directement sur le site des éditions L’Usage.

Yvette

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