"Transcription de l’interview réalisée dans le cadre des ateliers de traduction de l’Institut Liszt en 2021.
Chercheur au CNRS, vous travaillez sur les Lumières et leurs héritages, Voltaire, Nietzsche, Anatole France. C’est-à-dire, vos domaines de recherches ne sont pas étroitement liés à la Hongrie, quoique vous ayez démontré l’influence de la poésie de Petőfi sur le jeune Nietzsche. Comment la langue et la littérature hongroises sont-elles entrées dans votre vie et quelle place y occupent-elles aujourd’hui ?
Je suis surpris ou finalement presqu’un peu agacé parce qu’on me pose toujours la même question, pas celle-là qui était plus subtile, mais très souvent on me demande toujours, les Hongrois que je rencontre me demandent toujours : mais alors pourquoi le hongrois ? J’ai envie de répondre, en leur disant : pourquoi pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’il faudrait une raison particulière pour s’intéresser à la langue et à la littérature hongroise ? Pourquoi ça ne devrait pas être une évidence qu’on s’intéresse à une langue, à une littérature aussi riches, aussi belles, aussi intéressantes ? C’est donc ma première réponse : pourquoi pourquoi ? Ensuite, comme on me pose souvent la même question, j’ai de nombreuses réponses à disposition. J’en ai à peu près huit cents. Donc, je propose qu’on ne fasse pas un atelier de traduction mais une réponse à la première question, ça va prendre un peu plus de deux heures si ça ne vous embête pas de rester un peu plus longtemps. Ou bien, j’ai pensé à fabriquer ce qu’on appelle un camembert. C’est très français, hein. C’est-à-dire, un de ces schémas avec des pourcentages. Il y avait une bande dessinée très amusante il y a quelques années avec le camembert de l’amour(1). Et dans le camembert de l’amour, il y avait 15% ennui d’être tout seul, 10% envie de massage, 8% satisfaction narcissique, 12% besoins purement animaux, etc. Et au fond, je crois que mon attirance pour la Hongrie, il faudrait en faire un camembert. Dans ce fromage il y aurait, des causes occasionnelles, des causes réelles, des causes finales, des causes circonstancielles, des causes profondes, etc. Mais je crois que la grande cause, c’est l’intérêt pour une culture qui est à la fois autre et semblable. À la fois proche et très différente. C’est-à-dire, il y a une espèce de dialogue permanent entre le familier et l’étrange qui m’a retenu dans le hongrois. Mais ce n’est pas grand-chose bien sûr par rapport à tout ce qu’on pourrait mettre dans le camembert. Il y a des rapports avec ma recherche : il y en a parce que je les crée, ces rapports, je les cherche et parfois par chance je les trouve. Notamment, en faisant des recherches à Buda, je suis tombé sur un tas de lettres de l’un de mes auteurs de prédilection sur lequel je travaille depuis près de 30 ans, Anatole France, à une Hongroise dont il était tombé amoureux. Ce n’était pas du tout connu, donc c’était pour moi un scoop, une révélation… Je me pinçais, à la bibliothèque de Buda, en me disant ce n’est pas possible, ce n’est pas possible, Anatole France n’avait pas une amoureuse hongroise, j’ai dû l’inventer. Et pendant plusieurs minutes, j’ai cru que j’avais perdu la tête mais non. Si on réfléchit d’une manière plus intellectuelle, il y a probablement des rapports entre cette façon de réfléchir sur ce qu’on appelle la réception : des passages de frontière à la fois de siècles mais aussi de langue et aussi une réflexion sur la liberté avec ce modèle de liberté qu’a constitué la révolution de 1956 qui est aussi quelque chose je mets dans la lignée de ma réflexion sur les Lumières." La suite sur litteraturehongroise.fr
(1) L’amour c’est l’enfer. Une série admirable dessinée par Matt Groening, Sirène, 1993